Bien des films de Luis Buñuel, Louis Malle ou Miloš Forman n’auraient pas vu le jour sans la plume et l’imagination du romancier Jean-Claude Carrière. Auteur, scénariste, dramaturge et adaptateur reconnu internationalement, il nous a quittés ce lundi 8 février, à l’âge de 89 ans. Retour en dix œuvres emblématiques d’un Carrière d’exception.
Le Vin bourru
Avant de devenir écrivain et scénariste, Jean-Claude Carrière vient du milieu de la campagne de l’Hérault. Issue d’un village, sa famille vit de ses vignes et de ses châtaigniers et n’aura l’eau courante que dans les années 1960, alors que l’auteur a déjà publié ses premières œuvres. Le Vin bourru, autobiographie de sa jeunesse parue en 2000, raconte cette enfance où l’on célébrait chaque année le premier vin que l’on buvait, tandis que les jeunes quittaient la campagne pour gagner la ville et espérer trouver une vie meilleure. Toute la tendresse de l’écriture de Carrière vient de ces fragments de vie qu’il n’a jamais oubliés et que l’on retrouvera dans certains de ses scénarios comme celui de Milou en mai.
Croyance
Très spirituel, Jean-Claude Carrière a publié de nombreux essais et romans sur la culture indienne ou l’impalpable, comme dans Le Mahabharata (qu’il adaptera également pour le théâtre), Conversations sur l’invisible ou La Force du bouddhisme. Il va plus loin encore avec Croyance qui reçut en 2016 le prix Psychologies-Fnac. Il y questionne notre approche de la foi en une entité supérieure, se demandant si elle est une aberration ou simplement un réconfort, mais aussi comment on peut se replonger dans son passé pour en faire émerger une lumière pour éclairer l’avenir. Un des livres les plus pertinents sur le sujet, écrit au crépuscule de sa vie.
La Controverse de Valladolid
Historien de formation, Jean-Claude Carrière nous plonge dans le siècle de Charles Quint avec La Controverse de Valladolid, réflexion sur le sort qu’il faut réserver aux Indiens que l’on vient de découvrir. Un roman construit comme un débat théologique entre un moine dominicain et un philosophe qui ont réellement existé. Publié en 1992, le roman a été adapté pour le cinéma par l’auteur lui-même, avec une distribution portée par Jean-Pierre Marielle et Jean-Louis Trintignant.
Le Journal d’une femme de chambre
Jean-Claude Carrière rencontre Luis Buñuel en 1964. Une amitié très forte se noue entre eux et l’écrivain va adapter pour le cinéaste l’oeuvre d’Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre. Buñuel lui offrira même le rôle du prêtre. Leur collaboration artistique durera 19 ans et Carrière adaptera ou écrira les scénarios notamment de Belle de Jour et du Charme discret de la bourgeoisie pour lequel il recevra le British Academy Film Award du meilleur scénario, son premier prix international. Ce ne sera pas le dernier, loin s’en faut, puisque l’auteur se verra notamment récompensé d’un Oscar d’honneur en 2015.
L’Insoutenable légèreté de l’être
Autre adaptation mémorable, celle de L’Insoutenable légèreté de l’être, d’après le roman de Milan Kundera. Le film de Philip Kaufman réunit Daniel Day-Lewis et Juliette Binoche et Carrière reçoit un nouveau British Academy Film Award. Un scénario point d’orgue d’une carrière peuplée d’histoires dramatiques et sensuelles, telles La Piscine, Cet obscur objet du désir ou encore le vénéneux Max mon amour, dans lequel Charlotte Rampling nouait une romance avec un chimpanzé. Scandale assuré.
Le Retour de Martin Guerre
Féru d’histoire, nombre de ses scénarios se passent dans une période de notre passé, mettant en avant des grandes figures comme Danton. Le Retour de Martin Guerre est toutefois le scénario de Carrière à la fois le plus personnel, intime et spectaculaire. Dans cette histoire d’usurpation d’identité véridique et médiévale, Gérard Depardieu y interprète un campagnard revenant dans son village natal après plusieurs années d’absence. Mais est-il celui qu’il affirme être ? Le succès est tel que le film reçoit trois Césars en 1983, dont celui du meilleur scénario et deviendra un objet de la culture pop, adapté par la suite en comédie musicale, cité dans le livre Rabbit en paix de John Updike et aura son propre remake américain, Sommersby.
Milou en mai
L’une des collaborations les plus prolifiques de Jean-Claude Carrière, était celle qui l’unissait à Louis Malle. Les deux hommes ont collaboré étroitement ensemble de 1965 à 1990, dès Viva Maria ! dans lequel Brigitte Bardot et Jeanne Moreau se disputent le même homme. Malle et Carrière écrivent à chaque fois les scénarios ensemble. Milou en mai, règlement de comptes d’une famille bourgeoise de la campagne pendant les événements de Mai 1968, sera leur dernière histoire commune. Une comédie dramatique bouleversante avec Michel Piccoli et Miou-Miou qui révéla Valérie Lemercier et sera endeuillée par la disparition soudaine de Bruno Carette.
Valmont
Outre Buñuel et Malle, Carrière a également beaucoup œuvré aux côtés du réalisateur américano-tchèque Miloš Forman. Et ce, depuis Taking off en 1971, thriller new-yorkais qui reçut le Grand Prix spécial du jury à Cannes. Film en costumes ambitieux, Valmont permet à Carrière de s’attaquer au livre épistolaire de Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses. Si le film souffre de la comparaison avec celui de Stephen Frears sorti au même moment, il met en avant un duo d’artistes européens qui a proposé, à chaque fois, des films toujours plus ambitieux.
Cyrano de Bergerac
En 1990, Jean-Claude Carrière est demandé pour créer une adaptation de l’oeuvre phare d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac. Jean-Paul Rappeneau, le réalisateur, lui demande de raccourcir le texte original et de rajouter des scènes muettes pour fluidifier l’ensemble. Carrière retrouve Depardieu après Danton et Le Retour de Martin Guerre et se retrouve nommé aux Césars et aux BAFTA. Cyrano de Bergerac est depuis un classique du cinéma français.
Le Sel des larmes
Le dernier scénario de Jean-Claude Carrière sera pour Philippe Garrel, un de ses amis. Derrière une romance en apparence simple, les obsessions personnelles de Carrière et de Garrel sont savamment entremêlées. Ou l’histoire d’un jeune provincial montant à Paris et qui va nourrir plusieurs passions amoureuses. Le Sel des larmes est un film simple, sobre, apaisé, magnifié par les derniers écrits de Jean-Claude Carrière, à la beauté intemporelle.