C’est un véritable événement pour les cinéphiles : le court-métrage culte de Chris Marker, La Jetée, ressort en DVD et Blu-ray dans une copie entièrement restaurée, en exclusivité Fnac. L’occasion de se plonger à nouveau dans cette œuvre exigeante et hybride, continuant d’être plébiscitée près de soixante années après sa création.
Un court-métrage expérimental en référence à Hitchcock
Un homme se remémore un souvenir d’enfance : une femme assistait à la mort d’un autre homme, juste devant elle. Une guerre surgit alors, meurtrière et ravageuse. Le héros se retrouve cobaye de scientifiques allemands et est envoyé dans le passé. Il rencontre la femme de ses souvenirs et en tombe amoureux. Expédié également dans le futur, il tente de sauver l’époque de laquelle il vient. Ce scénario vous rappelle étrangement celui de L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam ? Il est pourtant celui de La Jetée, un court-métrage français en noir et blanc de 28 minutes, réalisé en 1962 par Chris Marker.
Un film étrange, esthétique, expérimental, construit comme un roman-photo avec des images fixes, telles des diapositives, traces du passé de documentariste de son réalisateur. Et un hommage au Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, avec plusieurs références au grand maître britannique. Pourtant, Marker inscrit La Jetée directement non pas dans le film noir, mais dans la science-fiction, avec voyages temporels, travail sur la mémoire et dystopie à la clé. Le film, remarqué et remarquable, remporte en 1963 plusieurs récompenses, dont le Prix Jean-Vigo. Chris Marker s’adonnera les années suivantes à des films plus ou moins longs, documentaires ou de fiction, en gardant les thématiques du voyage et de la mémoire qui lui sont chères, comme dans Sans soleil documentaire sur la survie réalisé au Japon, au Cap Vert et en Guinée-Bissau, réédité également en version restaurée.
Un film de science-fiction devenu référence à son tour
Dès sa première diffusion, la popularité de La Jetée accède au rang de film culte, grâce à des cinéphiles conquis qui vont permettre à l’œuvre de dépasser les seules frontières françaises. En 1975, le réalisateur italien du cinéma de genre, Dario Argento, va s’en inspirer pour son film Les Frissons de l’angoisse, notamment pour son rythme particulier et sa fin qui boucle la boucle. En 1987, c’est au réalisateur de films animés japonais Mamoru Oshii de rendre hommage à La Jetée, avec son premier film live, The Red Spectacles. Une uchronie dans laquelle les nazis sont parvenus à occuper le Japon.
Si le court-métrage de Marker inspire régulièrement des vidéo-clips dans les années 1980 et 1990, que ce soit chez Sigue Sigue Sputnik ou David Bowie, il faudra attendre 1995 pour que le plus vibrant des hommages voit le jour, celui de Terry Gilliam et son Armée des 12 singes. Ici, point de Troisième Guerre mondiale, mais un virus mortel qui a décimé une partie de la population. Jusqu’à ce que l’on envoie un homme dans le passé, afin de comprendre comment ce virus a bien pu apparaître. À l’origine, l’idée était bel et bien de faire une adaptation en long-métrage de La Jetée, avec l’accord de Chris Marker. D’où certains plans similaires, notamment au début et à la fin, en dépit d’un scénario qui dévie souvent. Demeurent toutefois le désenchantement permanent tout au long du film et les voyages dans le temps, menant à l’inéluctable. Au final, le film porté par Bruce Willis et Brad Pitt fut un succès critique et public, avec deux nominations aux Oscars et un statut, comme son modèle, de film culte. Surtout, il a contribué à remettre La Jetée sur le devant de la scène et à permettre à toute une nouvelle génération de cinéphiles de redécouvrir l’œuvre hybride de Chris Marker. En 2013, L’Armée des 12 singes a été adapté à son tour, en série télévisée en quatre saisons, avec un nouveau coup de projecteur sur La Jetée. L’œuvre de Chris Marker n’a pas fini de faire parler d’elle…
