Lorsque Gabriel survole dans son avion d’affaires la forêt amazonienne et observe une boucle du fleuve isolant un territoire vierge, il ne sait pas encore qu’il va rencontrer l’Humanité dans toute sa pureté. Une fable écologiste merveilleuse de spiritualité de Pascal Manoukian.
Une rencontre impossible
« Chez les Yacou, il existait cinquante-sept mots décrivant très précisément chaque nuance de vert, mais aucun pour dire le profit, la science ou le bonheur. Pour une raison simple : le profit n’existait pas, la science tenait déjà tout entière dans la nature et le bonheur, à part une période sombre, dont le vieux Mue gardait, en plus du secret, trois moignons et une méchante cicatrice sur le crâne, se révélait être pour les Indiens et depuis toujours un état permanent, une source intarissable. »
Le crash de son avion ne l’aura pas tué, amorti par la canopée foisonnante de la forêt tropicale. Inconscient, Gabriel reprendra peu à peu ses esprits dans sa carlingue cabossée, vestige de son passé d’hommes d’affaires florissant, désormais perdu. À la tête d’un des plus grands consortiums miniers du monde, son rapport au monde s’est toujours mesuré à l’aune de ce qu’il pouvait lui rapporter.
Le Cercle naturel qui vient de le recueillir est habité par des Hommes : une tribu pure de tout contact avec le monde extérieur : « à l’intérieur, une beauté primaire, unique, presque irréelle, un reste d’Eden oublié là, posé intact depuis des millénaires au milieu de l’immensité ». Se posant la question de l’humanité de « la Chose » qui vient d’apparaître dans leur monde inviolé, le peuple Yacou l’obligera à survivre et à s’intégrer. Eux pour qui le pouvoir ou la propriété n’existent pas, chaque décision se prenant en commun et toujours en accord avec la nature. Un choc des valeurs dans une société où « l’abondance est partout si vous pratiquez la sobriété ».
Une aventure humaine
« Apprenez à vos enfants ce que nous apprenons à nos enfants, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils crachent sur eux-mêmes. Nous le savons : la terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre. Nous le savons : toutes choses sont liées comme par le sang qui unit une même famille. L’homme n’a pas tissé la toile de la vie. Il n’est qu’un fil de tissu. Tout ce qu’il fait à la toile, il le fait à lui-même. » Lettre du chef Seattle au gouvernement américain.
Cette citation en exergue du roman de Pascal Manoukian exprime le propos spirituel plein d’humanité que l’auteur a voulu nous communiquer dans un conte construit comme un roman d’aventures. Une aventure humaine, car c’est tout un monde qui se déploie sous nos yeux d’Occidentaux embués de certitudes. Dans une langue sensible et charnelle, l’auteur des Échoués et du Paradoxe d’Anderson nous invite à refaire le monde et notre société. Une dénonciation économique urgente, car le bruit des bulldozers rasant la forêt se rapproche, pour « élever du bétail et fournir en viande les fast-foods américains ». Pour le profit de quelques-uns, n‘est-ce-pas notre disparition que nous entraînons : « La nature n’a pas besoin de l’homme, il doit se faire petit et discret ». Une fable bouleversante à lire d’urgence !
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Parution le 2 janvier 2020
Le Cercle des Hommes, Pascal Manoukian (Seuil) sur Fnac.com
Photo d’illustration © Macou sur Pixabay