Alejandro Jodorowsky était un invité prestigieux du Salon Fnac Livres 2019. L’artiste multi-facettes et psycho-magicien s’est entretenu avec le journaliste Eduardo Castillo, en plein cœur de la Halle des Blancs Manteaux. Il a disserté sur son rapport à la création et donné quelques conseils pour développer une imagination, à la mesure de la sienne, débordante et folle. Entretien vidéo.
Eduardo Castillo : C’est assez étonnant de remarquer la jeunesse des gens qui viennent vous voir…
Alejandro Jodorowsky : Il y a une conscience qui s’ouvre, les jeunes ne sont pas idiots ! Au contraire, ils cherchent la liberté et à se réaliser, à sortir de l’ignorance. Ils cherchent des choses !
« J’ai éliminé mon image extérieure »
Et vous, comme « auto-jeune », avez-vous beaucoup de projets ?
Je commence ! En ce moment, je suis en train d’écrire un livre sur la psycho-trans et sur comment nous pouvons introjecter les grandes images qui nous marquent en se libérant d’elles. Tu sais, je me suis défait de la nationalité. Je ne suis pas contre, non. J’ai le passeport chilien et français, mais je ne me vis pas comme un être avec race et patriotisme, nationalité. Je me suis défait de ça. Je me suis défait aussi de mon image extérieure, je n’ai pas de visage. Je ne me regarde dans le miroir que le matin, que quand je me coiffe, c’est tout. Pascale [ndlr : sa femme] a un grand miroir, parce qu’elle doit s’habiller, mais moi non. J’ai éliminé mon image extérieure. Et mon âge aussi, je l’ai éliminé, car je ne vis pas dedans, je ne le sens pas. Mais je n’imite pas la jeunesse, je me vis tel que je suis sans l’imiter parce que je sais que je ne l’ai pas. Je suis un super vieillard !
Le succès, l’argent, être très connu, la gloire, ce n’est pas très important pour vous ?
Le fruit de l’arbre que cherche l’industrie cinématographique, mais aussi parfois celle qui produit les romans d’aventure… C’est l’argent, après le pouvoir et la gloire. Et si on met ça de côté, qu’est-ce qu’on va chercher dans l’art ? On arrive au transpersonnel ! On arrive à vaincre son ego et à ne pas travailler pour soi-même, sinon pour l’humanité. Si tu ajoutes ta graine dans l’humanité, elle contiendra quelque chose de toi, comme de tout le monde. Mais alors, qu’est-ce que je fais dans le monde ? À quoi sert l’art ? À parler des pages et des pages, des images et des images, de mon nombril ? À quoi ça sert ? À rien ! Alors tu descends de l’Olympe de Dieu et tu rentres dans la violence de la vie quotidienne. Rien n’est bon, rien n’est mauvais, ça dépend de comment tu l’utilises. L’argent n’est pas bon ni mauvais, ça dépend juste de comment tu vas l’utiliser ! Il te donne la possibilité de réaliser ton âme, mais aussi de devenir un esclave. Abjecte qu’est la recherche de l’argent ! Avec l’atome, on peut illuminer et faire beaucoup de choses formidables mais on peut aussi faire des bombes atomiques. La sagesse scientifique, ça dépend de comment on l’utilise… toute sagesse en dépend.
L’argent n’est pas bon ni mauvais, ça dépend juste de comment tu vas l’utiliser ! Il te donne la possibilité de réaliser ton âme, mais aussi de devenir un esclave. »
Mais comment sortir de la violence de cette vie quotidienne ?
Avec courage !
Comment fait-on ?
J’ai fait des études et j’étais assez intelligent à cette époque-là, mais je me suis rendu compte que ça n’était pas pour moi. Mon chemin, c’était l’imagination. Alors j’ai commencé à la développer en me donnant des exercices d’imagination. Et dans mes livres Le Théâtre de la guérison et Psychomagie, j’explique comment développer l’imagination et la créativité.
À quel moment de votre vie avez-vous pris conscience que vous pouviez aussi créer et que la création était le moteur de votre vie ?
Quand on est artiste, on est artiste, c’est un talent, non ? Aujourd’hui, sur Facebook j’ai vu un bébé de deux ans qui jouait du tambour magistralement bien. Personne ne lui avait appris, c’est un don. Nous tous, nous servons à quelque chose, mais nous ne servons pas pour la même chose. On naît avec talent, et donc, on fait de l’art. On naît avec de l’agilité dans les jambes et on est un footballeur génial ! La nature nous donne un talent spécifique et il faut découvrir lequel c’est.
« Il faut être capable d’accepter que certaines choses ne peuvent pas se faire. Ce n’est pas un échec. C’est juste qu’on ne pouvait pas les faire de cette façon, mais on peut les faire autrement. »
On peut rencontre un échec (apparent), et cet échec peut aussi conduire à ouvrir d’autres portes. Lorsque vous avez voulu faire le film Dune, ça a été un échec, mais ça vous a permis de faire plein d’autres choses…
Rater n’existe pas. Un ratage, c’est simplement changer de chemin. Je voulais faire le film Dune… Le décorateur est devenu fou, parce qu’on ne l’a pas fait. Moi non, j’étais content, je disais : « Bon, je ferai une bande dessinée. » J’ai fait L’Incal et Le Méta-Baron qui sont des classiques de la bande dessinée. Je me suis réalisé. Il faut être capable d’accepter que certaines choses ne peuvent pas se faire. Ce n’est pas un échec. C’est juste qu’on ne pouvait pas les faire de cette façon, mais on peut les faire autrement.
Comment peut-on faire le lien entre la conscience et l’inconscience ?
Nous appartenons à l’inconscient, c’est la plus grande partie de nous. On est comme la tête d’un iceberg et, en-dessous, le grand iceberg est énorme : ça, c’est l’inconscient. Le travail de la conscience, c’est de se rendre à son maître, l’inconscient, et trouver quelle est la plus grande partie de soi-même : il faut rentrer dans l’inconscient et apprendre son langage métaphorique.
« Toute destruction n’est pas poétique ! Dans l’art psychomagique, les actes sont plein de bonté, guérisseurs. »
Lorsqu’on ne connaît pas bien, on pense au départ que la psychomagie est simplement une façon de guérir les gens. Mais c’est beaucoup plus que ça ! C’est tout un art, une création !
J’ai une longue vie dans l’art et surtout dans l’art théâtral. J’ai commencé par la danse impressionniste avec Kurt Jooss au Chili, un grand danseur échappé de l’Allemagne, qui a été le professeur de Pina Bausch. Ensuite, j’ai fait des marionnettes, de la pantomime, du théâtre et j’ai fini par faire des happening, qui sont une collection d’actes parfois destructifs. Au début, quand je faisais les happening, je croyais que c’était des actes poétiques, mais je me suis rendu compte que non, que toute destruction n’est pas poétique. Alors je suis passé à l’art psychomagique où les actes sont plein de bonté et guérisseurs… C’est ça, guérir avec l’acte ! Mais j’ai une longue vie d’expériences théâtrales. On pourrait dire que je serais, dans l’axe de la psychomagie, un chef cuisinier qui vous donne la recette d’un plat. Vous la prenez, vous rentrez, vous la faites. Si vous avez du talent, vous la faites bien. Si vous avez moins de talent, vous la faites moins bien…
Au début, j’ai fait une étude que j’ai appelée « les massages initiatiques ». Je suis parti d’un texte des Évangiles où le Christ dépose ses mains sur un apôtre. Je me suis demandé pourquoi dans une légende, ou un texte sacré si profond, on parle d’imposer les mains sur quelqu’un. Ce n’est pas sexuel, ce n’est pas du pouvoir. En fait, par le toucher et les messages, on peut transmettre l’esprit, l’inconscient. En transmettant, on libère la personne de beaucoup de ses limites. Une fois, quand je faisais ce massage avec une personne, un consultant, il a dit : « je vais te masser des pieds à la tête en dressant de longues lignes avec mes mains dans tout le corps. » Pendant une demi-heure, je fais des lignes – je me suis inspiré par la médecine chinoise qui fait des parallèles comme ça. Le matin suivant, il est parti faire le tour du monde ! C’est vrai ! Ça l’avait libéré !
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Son actualité : Psychomagie aux éditions Albin Michel et, aux éditions Humanoïdes Associés, la réédition de ses bandes dessinées, dans une édition spéciale 90 ans
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