Critique

Là où les chiens aboient par la queue : un nulle part pour un autre

16 août 2018
Par Melanie C.
Là où les chiens aboient par la queue : un nulle part pour un autre

Avec son premier roman, Estelle-Sara Bulle frappe fort, parce qu’elle frappe juste. Là où les chiens aboient par la queue est un roman qui emporte le lecteur dans une Guadeloupe trop souvent éclipsée au profit des clichés touristiques. Une saga familiale tourmentée et engagée qui donne aux exilés antillais une voix unique et puissante.

là où les chiens aboient par la queueSi loin et si proche à la fois

Que sait-on vraiment de la Guadeloupe en métropole ? Quelle image existe-t-il de l’Outre-mer en dehors des lieux communs touristiques qui le dépeignent comme un Paradis terrestre, synonyme d’évasion ? C’est derrière ce vernis qu’Estelle-Sarah Bulle a choisi de planter le décor de son premier roman au titre faussement « exotique » : Là où les chiens aboient par la queue. Le livre foisonnant de péripéties et riche en personnages mémorables est nourri de l’expérience propre de l’auteur. Métisse (de père guadeloupéen et de mère venant de métropole) travaillée par les questions d’origine et d’appartenance, elle infuse ainsi au récit une précision et un réalisme saisissants.

Une galerie haute en couleur


En dévorant les pages de ce superbe ouvrage, le lecteur ne peut qu’être interpellé par le potentiel romanesque sous-exploité des Antilles. Que de décors inattendus, de personnages captivants et d’événements historiques méconnus ! Estelle-Sarah Bulle ancre son récit autour d’une famille, les Ezéchiel, et notamment la fratrie composée d’Antoine, Lucinde et Petit-Frère. À travers eux, elle dessine le portrait d’un peuple se déchirant, se réconciliant avec une force de résilience et d’adaptation assez surprenante. La figure d’Antoine (le nom de savane d’Appoline, choisi pour embrouiller les mauvais esprits), un « mélange d’élégance surannée et d’anarchie » est particulièrement mémorable. Cette femme farouchement indépendante et têtue fait le récit de l’épopée familiale à sa nièce, une métisse en quête de ses origines. Sa gouaille, son caractère bien trempé pimentent le récit d’une voix inoubliable.

Une identité trouble et persistante


Au cœur du livre se trouve une question : qu’est-ce que la créolité ? Qu’est-ce qui la définit ? Une région ? Une cuisine ? Un état d’esprit ? Au final, il apparaît que c’est tout cela et surtout une langue, une mélodie qui est encore trop peu connue. C’est une communauté qui se recompose sans cesse, évoluant sans arrêt. Une source d’histoires inépuisable qu’Estelle-Sarah Bulle nous laisse entrevoir. Le plus grand mérite du roman, au-delà de l’immense plaisir de lecture qu’il procure, est de dévoiler ce potentiel d’histoires. Naît ainsi une soif de plus de récits qui ont pour cadre la Guadeloupe et les Antilles. Pour enfin connaître ces îles qui « pour la plupart des gens, sont, un peu comme l’Afrique, un tout qu’il était trop compliqué de différencier en zones géographiques précises. » 

Parution le 23 août 2018 – 288 pages

Là où le chiens aboient par la queue, Estelle Sarah Bulle (Liana Levi) sur Fnac.com

Article rédigé par
Melanie C.
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