Doc Gynéco, Stomy Bugsy, Passi, Ärsenik, les Neg’ Marrons… Au milieu des années 1990, ces artistes venus de Sarcelles ont profondément marqué l’histoire de l’âge d’or du rap français. Le 22 mai 1998, à l’occasion d’un concert à l’Olympia, sous le nom de Secteur Ä, leur collectif connaît l’apogée. Vingt ans plus tard, ces légendes du 9-5 remettent le couvert, à Bercy et dans les Zéniths à travers la France. Retour sur ces pionniers du game.
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Val-d’oisiens with attitude
1994, Sarcelles. Un groupe formé par Stomy Bugsy, Passi, Hamed Daye et Moda, managé par Kenzy, sort son deuxième album, intitulé 95200. Il se nomme Ministère A.M.E.R.. Les flows techniques de Passi, ceux plus chaloupés de Stomy, s’y entremêlent dans une ambiance très « lascar » que vient souligner la production du disque, très inspirée du son west coast américain, porté à l’époque par Snoop Dogg et autre Dr. Dre. Avec un premier featuring de Doc Gynéco (sur Autopsie), cet opus est le premier pavé dans la mare du rap Sarcellois qui sera défendu sous l’étiquette Secteur Ä à partir de 1995. Cette même année, sur la bande originale du film La Haine, Sacrifice de poulet, rude chronique d’une émeute urbaine, attire autant les foules que les foudres, notamment celles des syndicats policiers. Rebelles et drôles, les Ministère A.M.E.R. tiennent-là leur morceau culte.
Affaires de famille
Au cœur des années 1990, cette bande de jeunes qui s’est fédérée autour du hip-hop au début de la décennie va multiplier les projets et donner au rap français quelques-unes de ses meilleures ventes et quelques-uns de ses meilleurs morceaux. Le truculent Doc Gyneco, avec le classique Première consultation (Vanessa, Viens voir le docteur, Classe-moi dans la varièt’), l’ombrageux et généreux Passi avec Les Tentations (Je zappe et je matte, Le Monde est à moi, L’Engreneur, Le Maton me guette, Il fait chaud), l’excentrique Stomy sur Le Calibre qu’il te faut (Mon papa à moi est un gangster, Le Prince des lascars, Mes forces décuplent quand on m’inculque) réussissent tous leur passage en « solo », tout en multipliant les apparitions sur les albums des uns et des autres. Leur succès permet également le développement d’autres artistes également affiliés au Secteur Ä, qui vont à leur tour produire des albums légendaires : d’Ärsenik, duo formé par Calbo et Lino, dont le rap et les punchlines marqueront l’histoire avec l’album Quelques gouttes suffisent, aux plus ragga Neg’Marrons, qui, outre Le Bilan (sous le nom de Jacky et Ben-J), ont laissé quelques souvenirs aux fans de son caribéen (Lève-toi, bats-toi, Un nouveau souffle…).
Boxe avec les maux
Avec, dans l’ombre, Kenzy comme éminence grise, le Secteur Ä court-circuite les maisons de disque en réussissant à placer ses poulains en major tout en leur maintenant leurs prérogatives artistiques. L’énorme succès des albums déversés entre 1996 et 2000 témoigne que le pari du rap est réussi en France, et nourrit même de nouveaux business. Produits dérivés et émissions radio s’enchaînent, en même temps qu’émerge, dans le milieu du streetwear, la marque M. DIA, conçue par un proche des stars du rap sarcellois. En 1998, à l’Olympia, le collectif est au firmament, livrant un live resté légendaire. Malheureusement, la suite ne va pas être de tout repos, et, pour certains, la chute plutôt rude. Le Secteur Ä ne résiste pas aux conflits d’égo, aux intrigues financières douteuses, aux poursuites judiciaires et au souhait global d’individualisation. Doc Gynéco fonce vers la varièt, Stomy vers une carrière d’acteur, Passi multiplie les albums collectifs (Dis l’heure 2 zouk, Dis l’heure 2 rock)… Au début des années 2000, le collectif sarcellois n’est plus, et le rap français voit émerger d’autres scènes collectives, comme la Mafia K’1 Fry, et nombre d’artistes solo d’origine hétéroclite. Best-of et opus en solo (le dernier Doc Gyneco) permettent néanmoins de se rendre compte que l’activité discographique des membres du Secteur Ä n’est pas totalement éteinte.
Revenir en force
Vingt ans après l’Olympia, le collectif a donc choisi la scène pour se réunir et témoigner d’une nostalgie qui a gagné le cœur de leurs fans. Les groupes et les projets solo d’époque seront au cœur de ce nouveau spectacle, qui se tiendra le 22 mai à l’AccorHotels Arena de Paris-Bercy, puis en tournée à la fin du mois. Une bonne opportunité de découvrir en chair, en os et son, ceux qui, au milieu des années 1990 ont fait de Sarcelles la capitale du rap français.