Dans son nouveau roman, Philippe Claudel nous embarque pour L’Archipel du chien, une tragédie insulaire aux airs de conte noir. Une épopée moderne haletante doublée d’une parabole terrifiante sur notre (in)capacité à rester des hommes dignes de ce nom. Sortie le 14 mars chez Stock.
Trois morts et un destin
Les âmes se font décidément de plus en plus grises chez Philippe Claudel. Il faut dire que l’écrivain avait annoncé la couleur à l’occasion de la sortie, l’année dernière, de son recueil de nouvelles Inhumaines : « j’en ai assez de ces langues sirupeuses et anesthésiantes qui ne cessent de nous paralyser. Je crois qu’il faut parfois dire les choses. » Il n’en démord pas et continue avec son Archipel du chien à planter ses crocs acérés dans les travers d’une société moderne moribonde.
Dans le viseur et sous la plume de Claudel, cette fois-ci, le drame des migrants. L’écrivain nous emmène sur une île imaginaire. Un « bout de monde » à l’écart d’un continent lointain, invisible, indifférent. Et sur ce morceau de terre, à l’ombre d’un volcan, une poignée d’hommes et de femmes, de paysans et de pêcheurs soucieux de vivre en paix, entre vignes, oliveraies et câpriers. Jusqu’au jour où ils voient leur tranquillité soudain ébranlée par la découverte, sur la plage, de trois silhouettes noires inanimées… Qui sont-ils ? Et surtout, que faire des corps ?
Polar insulaire
Avec L’Archipel du chien, Philippe Claudel renoue avec le romanesque mi-rêvé, mi-réel, celui des Âmes grises ou du Rapport de Brodeck. Cette île flottante au milieu de nulle part, aussi imaginaire soit-elle, nous apparaît terriblement familière. Sorte de Lampedusa fictive, perdue en Méditerranée. Une manière, pour l’écrivain, d’universaliser d’emblée son propos. De taper sur l’épaule de son lecteur et de lui souffler : « toi-même tu sais ! » Son décor planté, Philippe Claudel fait entrer en scène toute une galerie de personnages pittoresques : la Vieille, le Maire, le Docteur, l’Instituteur, le Curée… Comme autant de figures « types », représentants emblématiques du monde des hommes. Autant d’acteurs d’une tragédie moderne qui, confrontés à la misère du monde, devront faire face à leur part sombre. Une part qui, comme l’écrit Claudel, habite chacun de nous mais que l’on feint d’ignorer, jusqu’au jour où des circonstances exceptionnelles nous forcent à la contempler.
Et l’île d’apparaître alors comme cette célèbre métaphore du psychisme humain. Ce « lieu » où l’on se retrouve au cœur de soi-même afin de prendre nos décisions les plus graves… Porté par un lyrisme noir et une magnifique théâtralité, L’Archipel du chien est un récit dense et puissant, un polar insulaire autant qu’une fable obscure avec, en toile de fond, une diatribe à l’encontre d’une société qui sait mais qui s’écoute parler et qui laisse faire. Un suffocant huis clos aux airs de tragédie grecque, italienne ou espagnole, quelque part en Méditerranée…
—
Paru le 14 mars 2018 – 288 pages
