Il y a de ces romans qui ne peuvent nous laisser indifférents. Qui, une fois refermés, continuent de nous hanter, de nous habiter tant par la force que par la noirceur qui s’en dégage. Et c’est le sentiment que laisse Dans les angles morts de l’américaine Elizabeth Brundage. Dans une petite ville agricole de la côte Est, un homme découvre sa femme assassinée et sa petite fille seule dans sa chambre glaciale. Que s’est-il passé ? Pourquoi s’être attaqué à une famille en apparence sans histoires ?
Les Clare
Le roman débute sur la découverte du crime. Qui a pu commettre une horreur pareille? Les fils Hale, très attachés à la ferme familiale et qui vont nouer une relation particulière avec la victime, ou le mari ? Passé le prologue qui plonge le lecteur dans l’horreur de la découverte du meurtre et la fuite du mari éploré, la romancière nous entraîne aux prémices d’une catastrophe annoncée.
Retour donc huit mois plus tôt pour les Clare, un jeune couple new-yorkais aisé et leur petite fille. Ils ont acheté pour une bouchée de pain l’ancienne ferme de la famille Hale, vendue aux enchères après la mort brutale des parents. Le mari, Georges, est professeur d’histoire de l’art à l’université et sa femme, Catherine, une ancienne restauratrice d’art reconvertie en mère au foyer. Une famille bien sous tous rapports, pourrait-on dire d’eux. Mais en grattant le vernis, on découvre un couple plus que mal assorti, au bord de l’implosion. Il est imbu de lui-même, socio-psychopathe toxique en puissance et pétri d’ambitions ; elle, modeste, manque de confiance en elle et subit quotidiennement le joug de son mari.
Atmosphère hitchcockienne
Dans une atmosphère digne de Patricia Highsmith, ce roman choral nous plonge au-delà des apparences, nous entraîne dans les méandres et les vicissitudes de l’âme humaine, tant par les mensonges et les vérités qui se dévoilent à demi-mot que par les aspirations des différents protagonistes. Le drame qui secoue la petite ville de Chosen débute il y a bien longtemps, à une époque où les Clare se connaissaient à peine, et vivent une simple amourette d’étudiants.
Dans ce jeu de dupes, celui qui retiendra notre attention, c’est le mari, mythomane, autoritaire, pervers narcissique prêt à tout, et surtout au pire, pour cacher ses faiblesses et parvenir à ses fins. On découvre le pot aux roses. Car c’est lui qui détient la clé de l’énigme. Des énigmes devrait-on dire, car l’homme est secret. Car l’homme, véritable coureur de jupons, n’aime pas qu’on lui résiste, que quelqu’un échappe à son emprise. Surtout son épouse dès lors qu’elle manifeste un peu d’indépendance. Leur mariage est un simulacre de vie conjugale tant les non-dits et les ressentiments flottent entre ces époux si mal accordés.
Dans ce roman noir, la prose d’Elizabeth Brundage triture avec une évidente maîtrise les secrets de l’âme humaine. Dans les angles morts est un thriller éminemment littéraire, tant par la qualité de son écriture que par sa maîtrise du suspense. Assurément l’une des pépites de cette rentrée littéraire hivernale.
—
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud
Parution le 11 janvier 2018 – 528 pages
Dans les angles morts, Elizabeth Brundage (La Table Ronde) sur Fnac.com