Les ventes de disques vinyles ne cessent de progresser, à tel point qu’elle ont dépassé – en nombre et en valeur – les chiffres de vente de CD aux USA ! Un retournement de situation absolument improbable il y a quelques années en arrière, et qui alimente les débats : mode ou retour aux sources ?
Des chiffres qui interpellent
Si vous êtes récemment passé dans le rayons disques de votre magasin Fnac favori, vous avez sans doute remarqué que le rayon des disques vinyles a repris des couleurs, au détriment de celui des CD. Le phénomène est tellement sensible que les moins jeunes d’entre nous ont l’impression d’être revenu 3 décennies en arrière, à l’époque où on passait des heures à fouiller dans les bacs à vinyles à la Fnac, en quête de la dernière perle musicale.
Cet engouement se confirme au niveau des chiffres. L’année 2022 a ainsi vu les chiffres de vente de disques vinyles neufs dépasser ceux du CD aux Etats-Unis. C’était déjà le cas en termes de chiffre d’affaire (le prix de vente moyen d’un vinyle étant supérieur), c’est maintenant aussi le cas en termes de nombres d’exemplaires vendus. Il s’est ainsi vendu l’an passé 41 millions de disques noirs, contre 33 millions de CD.
Un support qui n’a jamais vraiment cessé d’exister
Qui aurait pu prédire un tel revirement ? Peu de gens, certainement. La chute des ventes de vinyle, amorcée avec l’arrivée du CD dans les années 80, paraissaient inexorable, et on en envisageait davantage sa mort inéluctable qu’un retour en grâce.
Mais c’était aller un peu vite en besogne. Le vinyle, quoique moins en vogue, continuait d’exister, et cela grâce à 3 grandes catégories d’acteurs :
Les audiophiles
Ce terme désigne les amateurs de reproduction sonore Haute-Fidélité, et par extension, des matériels qui permettent de l’obtenir. Les audiophiles se tiennent au courant de l’évolution des technologies, écument les salons spécialisés et les auditorium dédiés.
Or, ces audiophiles se caractérisent souvent par un certain conservatisme. Sans être passéiste, l’audiophile a tendance à faire confiance aux technologies qui ont fait leurs preuves plutôt qu’à se précipiter sur les dernières nouveautés. Voilà qui explique que des technologies qui peuvent paraitre totalement dépassées aux yeux du grand public, comme les magnétophones à bandes ou encore les amplificateurs à tubes, ont encore les faveurs des amateurs de beau son.
L’autre point important est que les amateurs de haute-fidélité font souvent passer le résultat final avant le confort. Le sans-fil par exemple, popularisé par le format mp3 et les enceintes Bluetooth, n’a vraiment conquis les audiophiles qu’avec l’arrivée des plateformes de streaming haute résolution, des fichiers Hi-RES et de solutions logicielles permettant de les exploiter au mieux (Roon, Audirvana, etc.) ou encore de lecteurs réseaux performants.
Tout cela explique que nombre d’entre eux ont continué à utiliser un support jugé aussi peu pratique que le vinyle, malgré l’arrivée du CD, plus facile d’utilisation mais pas toujours de qualité optimale pendant ses premières années d’existence.
Les DJs
Certains audiophiles ont tendance à prendre les DJs de haut, considérant qu’il ne s’agit pas de « vrais musiciens » et que ce sont davantage des techniciens qui exploitent les créations des autres pour les remixer. C’est pourtant en grande partie grâce aux DJs que le support vinyle, tant apprécié de ces mêmes audiophiles, a pu subsister. Nombre de DJs sont restés fidèles au vinyle, écumant les rares boutiques d’occasion subsistant à l’époque, à la recherche de sons inconnus et de petits bijoux ne demandant qu’à renaitre.
Pourquoi cette persistance de l’usage du vinyle à une époque où le numérique facilitait l’accès au DJing ? Peut-être justement à cause de cette démocratisation. On entendait souvent dire à l’époque -et encore aujourd’hui d’ailleurs- qu’un « vrai DJ » ne mixe qu’avec du vinyle. Le numérique, plus pratique, plus économique et moins contraignant, a rendu le DJing plus abordable à une plus grande masse, au grand désarroi des inconditionnels du vinyle.
Je ne me hasarderais pas à prendre parti dans cette querelle des anciens et des modernes -pas folle la guêpe !- mais cette posture jusqu’au-boutiste, justifiée ou pas, a permis à certains fabricants de continuer à exister à une période où les platines CD se vendaient comme des petits pains.
Les fabricants « résistants »
Alors même que nombre de fabricants mettaient la clé sous la porte ou se reconvertissaient dans les platines CD, certaines marques ont continué à croire contre vents et marées au support vinyle, souvent sous l’impulsion de dirigeants passionnés.
L’exemple le plus connu est celui de Roy Gandy. Cherchant à construire une platine vinyle simple et robuste, il lança sa propre société en 1973 et créa son premier modèle Planet. La société, connue de toute la planète audiophile sous le nom de REGA, a continué à produire des platines vinyles sans discontinuer pendant toute la période de règne du CD, notamment avec sa gamme de renom Planar. Aujourd’hui, REGA est un des deux leaders de la catégories des platines audiophiles, même si la marque propose également des amplificateurs, des lecteurs CD et des enceintes.
Le cas de l’autre grand fabricant est encore plus emblématique. La firme Pro-Ject, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a été fondée en 1991 par Heinz Lichtenegger. Si on peut se demander quelle mouche a bien pu piquer ce bon monsieur pour se lancer, en pleine apogée du CD, dans la fabrication de platines vinyles, force est de reconnaitre que son pari s’est révélé payant. Leader mondial, Pro-Ject, d’origine autrichienne, produit aujourd’hui à 90% en Europe et s’exporte dans plus de 80 pays.
D’autres grandes noms de la platine vinyle, comme Technics ou Audio-Technica, ont su soit résister soit renaitre de leurs cendres pour poposer de nouveau une gamme complète de modèles pour tous les prix.
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Le retour du vinyle, la riposte au tout dématérialisé ?
Le retour du vinyle ne doit pas occulter le fait qu’aujourd’hui c’est bien le dématérialisé qui domine en termes d’écoute musicale, le streaming s’octroyant près de 85% du chiffre d’affaire du secteur de l’édition audio. Plus encore que les fabricants de disques et de matériel de lecture vinyle, les grand gagnants sont donc aujourd’hui les plateformes de streaming.
Il faut dire qu’elles cumulent les avantages. Pour une dizaine d’euros par mois (et moins de 20 euros pour les services de streaming audio haute définition), soit le prix moyen d’un seul vinyle, un Spotify, un Deezer ou un Apple Music donne accès à des dizaines de millions de titres dans tous les genres musicaux, ou presque. On peut accéder à toute sa musique à la maison sur son matériel hifi ou sur une simple enceinte Bluetooth, mais aussi en extérieur sur son smartphone ou sur son lecteur audio nomade. On peut créer des playlists, partager sa musique avec des amis, découvrir des suggestions de titres ou d’artistes inspirées de nos habitudes de lecture, etc. Bref, on voit mal pourquoi quelqu’un irait s’embêter avec un support plus cher, moins pratique, plus encombrant et plus exigeant.
Mais le vinyle présente pourtant des avantages non négligeables :
– Le vinyle que vous achetez vous appartient, alors que la musique en streaming peut être assimilée à une location longue durée. Sauf à acheter vos titres – ce qui n’est d’ailleurs pas proposé par toutes les plateformes, loin de là-, ils ne sont disponibles que tant que vous payez. Si vous résiliez votre abonnement à une plateforme de streaming audio, vous n’aurez plus accès à votre musique, ou bien alors en acceptant des coupures pubs. Alors que vous pouvez écouter votre disque vinyle tant que vous voulez sans payer plus que le prix d’achat, et surtout vous pourrez le transmette.
– L’utilisation du vinyle est un rituel très apprécié des amateurs. Là où il suffit de lancer une application sur un smartphone pour accéder à sa musique en streaming, un vinyle nécessite une manipulation soignée et ritualisée, une intervention humaine. On peut se demander si cette « réappropriation » de la musique ne joue pas pour beaucoup dans le succès du vinyle. Sortir le disque de sa pochette, le poser sur la platine, lancer le mouvement et passer la brosse nettoyante, soulever le bras et poser délicatement le stylet dans le sillon au bon endroit, tout cela participe au plaisir d’écoute. En fait, ce sont les contraintes mêmes du vinyle qui font son charme.
– L’écoute de disque vinyle réintroduit une matérialité qui s’était perdue avec l’avènement du numérique. Lorsque vous écoutez un disque microsillon, vous voyez tourner le disque, vous voyez bouger le bras de lecture et la cellule. En rapprochant l’oreille de la cellule, vous pouvez même entendre le son du disque. A contrario, sur les platines CD, une fois le tiroir refermé et la lecture lancée, vous ne voyez plus ce qui se passe. Et je ne parle même pas de la musique dématérialisée, qui fait carrément disparaitre tout mouvement mécanique, réduisant la musique à un flux.
– Le plaisir du collectionneur ! Un disque vinyle, c’est d’abord un bel objet qu’on prend plaisir à acquérir, à manipuler et à collectionner. Certaines pochettes sont de vrais chefs-d’œuvre esthétiques, d’autres ont une grande valeur sentimentale parce qu’elles vous rappellent une époque, une personne ou un voyage par exemple. Sans compter qu’une vynil-thèque se construit sur plusieurs années voire sur plusieurs décennies et prend de la valeur au fur et à mesure du temps qui passe, du fait même du caractère fragile et non duplicable du support.
– Le disque vinyle nous oblige à prendre le temps et à entrer dans l’univers de l’artiste, au lieu de passer d’un titre à l’autre d’un simple appui sur les touches d’une télécommande ou d’un écran de smartphone. Sur un disque vinyle, il faudrait se relever toutes les 5 minutes pour changer de titre en relevant le bras, changeant de piste, de face ou même de disque. Cette contrainte nous amène souvent à écouter le disque dans l’intégralité d’une face, puis de l’autre. Non seulement on réapprend à écouter sa musique sans zapping, mais surtout on l’écoute dans l’ordre voulu par l’artiste. Car on l’oublie trop souvent, un disque c’est souvent l’aboutissement d’années de réflexion et de travail pour finir par choisir une pochette, un ordre des titres, une répartition sur les 2 faces, etc.
– Les disques vinyles en occasion permettent de retrouver de nombreux titres qui ne sont jamais sortis en CD ou en dématérialisé. Je suis, à titre d’exemple, particulièrement amateur de la période 70-80 de la cadence antillaise et du compas haïtien. Pas mal de disques de cette époque ont certes été numérisés, mais très souvent à partir de bandes de piètre qualité. De ce fait, même avec les craquements dus à l’usure, ils sonnent parfois nettement mieux en vinyle qu’en CD. Et de nombreux albums n’ont carrément jamais été numérisés, souvent faute de potentiel commercial ou encore pour des questions de droits.
Le vinyle, meilleur ou moins bon que le CD ? Un débat stérile selon moi
Depuis le retour du vinyle, les partisans et les détracteurs du support s’écharpent sur les forums. Les partisans du vinyle mettent en avant le son réputé plus chaud, la dynamique supérieure, le plus grand naturel et la plus grande humanité de la restitution, par opposition au son numérique jugé trop « clinique ».
Dans le camp d’en face, les détracteurs fustigent la fragilité du support, les craquements inhérents aux vinyles, le côté contraignant et peu pratique, la bande passante moins large, le côté mode passagère, le coût… etc.
Pour ma part, j’avoue ne pas bien comprendre ce débat. Est-il vraiment important de savoir quelle technologie est la plus performante en termes de dynamique ou de bande passante ? Il serait peut-être temps de se rappeler que ce que l’on recherche ici c’est du plaisir d’écoute. Qu’il soit obtenu avec une belle platine vinyle ou avec de la musique dématérialisée, l’essentiel n’est-il pas le résultat final ?
On oublie un peu vite qu’avant l’arrivée du numérique coexistaient de manière tout à fait pacifique des technologies pourtant totalement différentes. On écoutait la radio hertzienne pour découvrir les dernières sorties, les disques vinyles pour apprécier ses artistes favoris et la cassette pour enregistrer et partager sa musique ou l’écouter en déplacement sur son autoradio ou son walkman.
Cette querelle rappelle étrangement celle opposant les fans d’amplificateurs à tubes, qui trouvent leur restitution plus chaleureuse, et les fans d’amplification à transistors, qui les jugent plus fidèles et moins colorés. Après tout, les premiers, dont la technologie est apparue avec le cinéma parlant, coexistent toujours avec les seconds qui se sont quant à eux imposés depuis la fin des années 50. Rien n’empêche donc de conserver une platine vinyle, une platine CD et un lecteur réseau (c’est d’ailleurs mon cas) et d’utiliser chacun selon ses envies et ses besoins.
En définitive, peu importent les qualités respectives de la musique dématérialisée, du CD ou encore du disque vinyle. Tant qu’on prend du plaisir à écouter ses œuvres musicales préférées, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Et en ce sens, on peut penser que le retour du vinyle, loin d’être une mode passagère, pourrait tout à fait perdurer, pour le plus grand plaisir des amateurs de musique analogique. Pourquoi devrait-on se plaindre d’avoir le choix ?