Dieu que les adieux furent longs… Mais il semble bien que Pierre Lemaitre soit, cette fois, parvenu à laisser partir son précieux Au revoir là-haut. Comment ? En planchant sur ses Couleurs de l’incendie, second tome de sa trilogie consacrée à l’entre-deux-guerres, désormais disponible en poche.
La couleur de l’argent
Dans Couleurs de l’incendie, les années 1920 d’Édouard Péricourt ont laissé place aux années 1930 de Madeleine Péricourt, sa sœur. Et après les désolations de la guerre et les traumatismes du retour au pays, Pierre Lemaitre met en scène de nouveaux ravages, moins sanglants mais tout aussi destructeurs, ceux de l’argent et de la finance. Nous sommes en 1927, le jour des obsèques de Marcel Péricourt, un père qui aura donc résisté moins de sept ans à la mort de son fils Édouard. Madeleine, divorcée, devient alors la seule héritière d’un vaste empire bancaire. Mais frappée en plein cœur par un autre drame familial inattendu, elle devient vite la proie facile de toute une bande de mâles en mal de pouvoir et d’ambition, qui n’auront de cesse de causer sa perte et la ruine de son empire tout juste acquis.
Faillite et rédemption
Couleurs de l’incendie… Ce titre, Pierre Lemaitre est allé le chercher dans l’ultime vers du poème d’Aragon Les Lilas et les roses, écrit en 1940 et évoquant la débâcle française face aux Allemands. Lemaitre anticipe quelque peu en s’appropriant l’expression pour l’appliquer ici aux années 1930. L’incendie, c’est celui du fascisme qui s’apprête à dévaster l’Europe. Une ombre brune omniprésente tout au long du roman. Mais c’est aussi celui, plus intime, qui ravagera la vie de Madeleine, brutalement délogée de sa tour d’ivoire et contrainte de se faire une place dans le « vrai » monde pour, à force d’énergie et d’intelligence, reconstruire sa vie et sa dignité. Le passionnant cheminement d’une femme déchue vers la modernité.
Retour de flammes
Couleurs de l’incendie, c’est aussi le récit d’une vengeance froide et machiavélique, Lemaitre faisant de sa Madeleine Péricourt une sorte d’Edmond Dantès au féminin. L’occasion pour l’auteur de rendre hommage à Alexandre Dumas à qui il doit tant. Mais au-delà, c’est au XIXe siècle littéraire tout entier que Pierre Lemaitre adresse ce roman, invoquant autant Hugo que Balzac, ou encore Zola.
La plume est vivante, expressive, les personnages fouillés, l’intrigue parfaitement ajustée, le propos intelligent et incroyablement d’actualité (place de la femme, crise financière, politiques empêtrés dans les « affaires », presse opportuniste, montée des extrêmes)… Aussi accaparant que fût son Au revoir là-haut (successivement adapté en film et en BD), il n’aura pas eu raison de la joie d’écrire de Pierre Lemaitre, de son envie insatiable de nous emmener encore plus loin que là-haut pour porter au sommet les plus belles couleurs de la littérature populaire. Couleurs dont resplendit indéniablement ce Couleurs de l’incendie.
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Paru le 3 janvier 2018 – 544 pages