Neil Gaiman est de ces auteurs qu’on découvre sur recommandation d’un ami. Très populaire dans les contrées anglo-saxonnes, il ne jouit pas encore d’une renommée à la hauteur de son talent dans l’Hexagone. À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Le Monarque de la vallée, portrait d’un des plus grands conteurs de notre époque.
Les territoires de l’imaginaire
Si on ne devait juger un auteur que sur ses influences et ses livres de chevet, Neil Gaiman serait irréprochable : il avoue connaître Alice au pays des merveilles quasiment par cœur, il a grandi avec le Seigneur des anneaux et a dévoré dès le plus jeune âge la saga Narnia de C.S. Lewis. Des classiques de la littérature fantasy anglo-saxonne qui vont façonner son imaginaire et qui lui ont donné le goût des univers complexes et travaillés. Né dans la tranquille bourgade anglaise de Portchester d’une famille d’origine d’Europe de l’Est, Gaiman est le produit d’un melting pot imaginaire qui dépasse le cadre des frontières terrestres. En lui, se mélangent des mythes de toutes parts, des histoires et légendes qu’il va s’efforcer de raconter et réimaginer tout au long de sa carrière. Car la force de Neil Gaiman, c’est ça : être un conteur. Naviguant sans problème entre littérature adulte et jeunesse en passant par les comics, il échappe aux étiquettes. Son œuvre est dédiée à un grand thème : l’imaginaire.
Un auteur artisan
Il serait presque trop aisé de confondre l’auteur et une de ses créations les plus emblématiques, s’il n’y avait pas là un minimum de vérité. Neil Gaiman s’est fait connaître avec la parution de Sandman, un comic de 75 épisodes qui a durablement marqué les esprits de tous ceux qui ont lu ses pages envoutantes et inoubliables. Rêve, l’homme de sable titulaire, n’est pas sans rappeler la dégaine de rock star de son créateur (n’a-t-il pas commencé l’écriture par une biographie de Duran Duran ?). L’Anglais s’est marié en secondes noces avec la sulfureuse Amanda Palmer, un couple aussi médiatique que controversé dans la presse d’outre-Manche qui commente beaucoup les faits et gestes de ce couple engagé. Véritable personnage public, Gaiman partage ainsi sa vie entre sa terre natale et New York, publiant à un rythme soutenu romans, nouvelles, bandes dessinées… Une production en flux continu en accord avec sa vision de son art, qu’il considère comme son métier, une approche artisanale du métier d’écrivain. Loin d’être un écrivain de gare, il arrive à créer une œuvre riche, cohérente et profondément enracinée dans les mythes de l’humanité. Peu importe par quel média elle s’exprime, la plume de Neil Gaiman fait résonner en ses lecteurs l’écho des histoires qui nous habitent depuis les temps anciens.
Des hommes et des récits
Dans Sandman déjà, il revisitait certaines figures de la mythologie grecque, y mêlant les serial killers, les marabouts africains et autres éléments plus contemporains. Gaiman n’a cessé de détourner le monde d’aujourd’hui en un miroir déformant des mythes anciens. American Gods, qui lui a valu de nombreux prix (et qui vient d’être adapté en série) est ainsi une confrontation entre les Dieux de l’Ancien Monde et ceux du nouveau, c’est-à-dire des États-Unis, société ultra-contemporaine, obsédée par la célébrité, la technologie et les drogues. Le Monarque de la vallée est la continuation de l’histoire de Shadow, personnage principal d’American Gods. Il y fait un voyage en Écosse, l’occasion pour Gaiman de réinterpréter la légende traditionnelle de Beowulf. Dans son livre précédent, La Mythologie viking, il racontait avec ses mots les légendes d’Odin, Thor et Loki, leur donnant un nouveau souffle épique, loin des versions pop culturelles de Marvel. De livre en livre, Gaiman affine sa vision, devenant de plus en plus poétique et sophistiquée. Un de ses sommets étant L’Océan au bout du chemin, chef-d’œuvre absolu d’écriture fantastique et de narration, où l’auteur abolit les frontières entre passé, présent et futur.
Se plonger dans un livre de Gaiman, c’est être comme les premiers hommes assis au coin du feu écoutant les récits de la création du monde par les shamans. Avoir cette impression de découvrir le monde qui nous entoure sous une lumière magique, intemporelle, profondément mystérieuse.
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