Qu’y a-t-il de plus difficile à raconter que le quotidien ? La banalité de nos existences ? Ne serait-ce pas là un des plus grands défis littéraires ? Comment faire vibrer le lecteur avec « l’ordinaire » ? Marie-Hélène Lafon s’y attache dans son nouveau roman, Nos vies. Et nous fait rêver.
Au début était la poitrine
Le Franprix au coin de la rue. C’est dans ce décor on-ne-peut-plus banal que débute ce roman doux-amer. Plus précisément à la caisse de celui-ci. Mais pour être vraiment précis – et cela compte : ce roman débute par un zoom sur la poitrine de la caissière, une certaine Gordana. Un gros plan littéraire impossible à retranscrire cinématographiquement. Une prouesse hypnotisante qui pourrait laisser craindre un tour de force artificiel mais heureusement la suite est du même acabit (sic). L’art de la description n’est qu’un des atouts de Marie-Hélène Lafon. Après un début brillant, elle parvient à maintenir l’attention du lecteur grâce à une parfaite maîtrise du récit et un amour sincère pour ses personnages.
Des vies imaginées
Ce que révèle cette fameuse poitrine c’est avant tout le regard incroyablement précis et poétique de l’auteure, capable d’entrainer le lecteur dans un tourbillon de songes et de réflexions au détour d’une simple observation. Nos vies a pour protagoniste une « jeune retraitée » qui observe ses concitoyens à ce fameux Franprix. Par ennui, par besoin de créer, elle leur invente des destinées, des histoires qui deviennent le fil d’Ariane de ce livre à la fois empreint de vitalité et profondément mélancolique. Derrière cet art du récit se dessine en filigrane la solitude extrême d’une femme, qui n’a plus que ce lien au monde pour exister.
Kaléidoscope de l’existence
À travers ces héros et héroïnes, la narratrice se dévoile pudiquement, laissant échapper quelques confessions, des images de son passé. Les portraits imaginaires se mêlent aux trajectoires authentiques, les petites gens deviennent des héros de roman. Et une femme regarde son existence à un moment crucial. C’est une œuvre délicate, dont le rythme nous berce de page en page, d’un personnage à l’autre. Inutile de préciser que la prochaine visite au supermarché local se transformera pour les lecteurs en un exercice d’écriture créative. Et chaque ticket de caisse soldant ce temps de création sera un prix littéraire à la portée de tous…
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Paru le 24 août 2017 – 192 pages
