Coup de cœur pour le nouveau roman de Clotilde Escalle, Mangés par la terre : un roman furieux, rude, organique, sur un sentiment rémanent de désespérance. Où l’expression brutale de la sexualité est parfois la seule échappée.
La loi du plus fort
Au village de Copiteau, il y a la famille Goussaint, la mère et ses trois idiots de fils : Robert, Patrick et Paul. Le père, Raymond, est mort, seul, sur une botte de paille. On a mis une semaine à s’en rendre compte. Et encore on se préoccupait plus du sort de la vache enceinte que de son décès soudain. Le premier frère, Paul, un peu rêveur, se réfugie dans la poésie, pendant que les deux autres, Robert et Patrick tendent des fils d’acier sur la route pour provoquer des accidents et forniquent avec des poules… Quand ces deux-là sont enfin stoppés par les autorités et atterrissent à l’asile, ils en profitent pour faire de Caroline, la fille de notable abandonnée par sa mère, leur objet sexuel.
Des personnages rongés par l’ennui
Caroline, elle, s’enferme dans un mutisme presque contagieux. Elle voit ses rêves de rejoindre la ville pour faire des études d’architecture voler en éclats. Car selon sa mère, elle est trop étrange. Selon les médecins, elle est hypersensible. Bref elle est inadaptée au monde. Il faut qu’elle change. Sa meilleure amie, Jeanne, teste son pouvoir de séduction auprès des hommes en exposant son corps, mais ce qu’elle souhaite surtout c’est partir d’ici, fuir le village. Elle croit entrapercevoir un brin d’espoir auprès d’Éric, un vendeur ambulant qui, depuis sa camionnette, rêve d’Amérique. La mère de Jeanne, Adèle, a perdu son compagnon il y a peu, ne se reconnaît plus femme dans ce corps qui s’épaissit ; elle traîne son désarroi dans le supermarché du coin.
Édouard Puiseux, le notaire du village, s’ennuie profondément. Il ne jure que par la musique baroque et Chateaubriand, n’adhère pas aux valeurs de la campagne, même s’il en apprécie la nourriture, trompe l’ennui et l’insomnie en jouant à Bubble Shooter, et en couchant avec la femme du médecin.
Le bruit et la fureur
Sous ces portraits cruels, décadents, sans concession, on devine la sauvagerie et la résignation. Les femmes se rêvent insoumises, mais se retrouvent écrasées et réduites en miettes par la violence des hommes. Le pouvoir se joue par la force. Entre l’homme et l’animal, il y a peu de différences… à part la conscience de la mort, la conscience de la terre qui bientôt avalera les corps, et l’ennui, toujours profond, qui annihile tout espoir en l’avenir et renforce le sentiment d’enfermement. L’histoire de quelques êtres à la marge, prisonniers de leur village et de leurs pulsions.
Clothilde Escalle est une romancière, dramaturge et critique d’art, qui explore à travers ses nombreux romans les notions de marge et d’exil. Elle a notamment publié Où est-il cet amour, Off et La Vieillesse de Peter Pan.
Pour découvrir d’autres petites pépites littéraires, hors sentier et hors best-seller, on vous conseille grandement de faire un tour du côté des éditions du Sonneur et de leur catalogue.
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Parution le 16 mars 2017