Quand le « manger fantôme », motif séduisant, vaporeux, poétique, devient l’incarnation de la mort au quotidien, de l’empoisonnement auquel nous soumettons les corps contemporains. Un essai envoûtant entre philosophie et poésie culinaire, sur les hantises d’une auteure japonaise singulière.
Le 11 mars 2011, en l’espace de quelques heures, le Japon affronte trois catastrophes aux conséquences désastreuses – séisme, tsunami, accident nucléaire. L’ampleur des destructions est sans précédent. Les morts se comptent par milliers. Ryoko Sekiguchi, écrivaine japonaise, francophile/francophone, s’interroge sur les conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima dans un essai philosophico-poétique qui convoque les éléments invisibles de notre nourriture.
Ryoko Sekiguchi débute sa réflexion autour d’idées symboliques et de motifs métaphoriques. Elle s’interroge : qu’est-ce que peut signifier « manger les nuages » ? « Manger la brume / la fumée / la vapeur » ? « Manger la transparence » ? Elle déroule le fil de sa pensée poétique jusqu’à questionner notre conception de la nourriture et confronter culture occidentale (française principalement) et culture japonaise. L’auteur souligne l’importance de nommer les plats que nous dégustons (« manger la description »), la nécessité de savoir ce que nous mangeons, le pouvoir de l’analogie dans la reconnaissance culinaire (« manger l’innommable / l’innommé »). Elle rappelle également que la nourriture est au cœur du processus du « temps retrouvé » de Proust, associée directement aux souvenirs, aux images, aux lieux (« manger le lieu ») et aux idées – religieuses, spirituelles ou culturelles (« manger le symbole »).
Doucement, Sekiguchi oriente sa réflexion vers un fantôme bien plus menaçant et actuel. Elle évoque par menues bouchées la catastrophe et ses conséquences sur le quotidien des Japonais : l’ingurgitation consciente et inconsciente de particules invisibles, conséquences de l’industrialisation de la production alimentaire d’abord, et du spectre de la catastrophe nucléaire ensuite. Une réflexion vaporeuse et onirique sur les sociétés très contemporaines.
Du même auteur : L’Astringent (Argol, 2012) ; La Voix sombre (P.O.L, 2015) ; Fade (Argol, 2016)
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Parution le 6 avril 2012 – 90 pages
Manger fantôme, Ryoko Sekiguchi (Argol) sur Fnac.com
Visuel d’illustration : Steinar Engeland