COUP DE CŒUR – Intérieur nuit est un ovni dans la rentrée littéraire 2015. Roman noir vertigineux, il paraît dans la collection « Du monde entier » des éditions Gallimard. Ce texte hybride, signé Marisha Pessl, mêle chapitres courts et tendus, d’inspiration cinématographique, et (fausses) reproductions de coupures de presse, de photographies, de pages web. Découverte de l’univers horrifique de Cordova, personnage trouble, cinéaste culte potentiellement dangereux.
« Que cela nous plaise ou non, nous avons tous une histoire avec Cordova »
L’ombre tentaculaire de Cordova
Cela fait 30 ans que le réalisateur de films d’horreur Stanislas Cordova n’a pas fait d’apparition publique. Le dernier signe de vie du cinéaste : un entretien dans le magazine Rolling Stone, intitulé « Au bord du gouffre, aller et retour », dans lequel il déclare :
« L’esprit humain est un lieu obscur et envahi par les mauvaises herbes »
Cordova a signé quinze films, plus monstrueux les uns que les autres, lesquels sont désormais projetés dans leur version non-censurée, au cours de séances clandestines réservées à un public de convertis extrémistes, les « cordovistes ». Un étrange culte s’est construit autour du réalisateur et de son œuvre angoissante et hypnotique, censée confronter ses spectateurs à ses peurs les plus extrêmes et transformer profondément son public.
Où est-il à présent, Cordova ? Est-il cloîtré dans sa résidence du Peak, une vaste propriété retirée du monde dans laquelle il a tourné ses derniers films ? Que cachent sa sombre filmographie et ce silence médiatique ?
Une enquête aux frontières du réel
Le journaliste Scott McGrath a enquêté sur le réalisateur, il a tenté de détruire le mythe. Il s’est heurté à plus fort que lui. Après une brève incursion dans la vie du réalisateur, son monde s’est délité progressivement ; il a perdu sa carrière, sa réputation, sa vie de famille.
Le jour où la fille du réalisateur, Ashley Cordova, 24 ans, est retrouvée morte, au pied d’un entrepôt de Chinatown, il ne résiste pas à la tentation de reprendre l’enquête là où il l’a laissée, aveuglé par son obsession destructrice pour le réalisateur. L’ombre de Cordova resurgit, oppressante et tentaculaire. Scott McGrath ne peut et ne veut l’éviter. Il a trouvé la faille lui permettant d’infiltrer l’univers sombre cordoviste…
Affublé malgré lui d’un duo d’enquêteurs aussi bancal que décalé – une apprentie comédienne fantasque et un jeune homme drogué et déphasé – le journaliste d’investigation part sur les traces du réalisateur culte. Son enquête nous mène dans les bas-fonds new-yorkais, s’infiltre dans des sociétés secrètes, dans le Darknet, explore la vie nocturne interlope, jusqu’à se perdre dans les tréfonds de l’âme humaine.
De monstres et de fantômes
Ce roman monstre (720 pages) est à l’image de son héros absent-présent, dont l’ombre épaisse recouvre tout le roman. Marisha Pessl démontre ici sa dextérité certaine pour les intrigues en rhizomes, sa maîtrise du suspense. Marisha Pessl se joue des codes du thriller ; elle exploite les clichés et les détourne brillamment. Dans un New York brumeux, un enquêteur mal rasé et alcoolisé s’apprête à emprunter une ruelle sombre et crasseuse. Mais au détour du chemin, rien qui ne soit connu, rien qui ne puisse être imaginé… L’horreur à l’état pur.
Dans sa structure abyssale parfaitement maîtrisée, le roman rappelle les univers de Paul Auster et de Jorge Luis Borges. Derrière le fil de l’intrigue, on décèle la présence fantomatique de Coppola et de Kubrick. Le roman brouille les frontières entre vérité et illusion. Frontières d’autant plus troubles et poreuses que le livre même échappe à son support papier. Sur internet, ici et là, on trouve des petits bouts de vidéos tournées par Cordova, des captures de vidéo surveillance, des auditions troubles de comédiennes… On regrette presque que la filmographie cordoviste, étrange et effrayante, si minutieusement décrite dans le roman de Marisha Pessl, n’ait d’existence que romanesque…
Toutes les vidéos sur le compte YouTube de Marisha Pessl
Marisha Pessl est une romancière américaine de 38 ans. Elle a travaillé comme consultante financière à Londres. Elle se lance dans l’écriture en 2001. Après quelques tentatives infructueuses, elle publie La Physique des catastrophes, salué par la critique. Le roman paraît en France en 2007, aux éditions Gallimard. Marisha Pessl franchit le difficile cap du deuxième roman avec Intérieur nuit (Night Film en VO), qu’elle a mis dix ans à écrire.
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Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude – 720 pages