Critique

Profession du père, de Sorj Chalandon

19 août 2015
Par Pauline
Profession du père, de Sorj Chalandon

RENTRÉE LITTÉRAIRE – Deux ans auront donc été nécessaires à Sorj Chalandon pour laisser s’évanouir les survivances de sa descente aux Enfers à Sabri et Chatila, racontée dans Le Quatrième Mur, un livre récompensé par le Prix Goncourt des lycéens 2013. Avec son nouveau roman Profession du père, l’écrivain revient à un récit plus intime écrit à hauteur d’enfant.

Sorj Chalandon, intime

Sorj Chalandon ouvrait sa carrière d’écrivain en 2005 avec Le Petit Bonzi. Sous les traits de Jacques Rougeron, l’auteur y évoquait sa jeunesse lyonnaise d’enfant bègue et son combat silencieux mais violent contre lui-même et face à ceux qui riaient de lui. Avec Profession du père, l’écrivain nous replonge au cœur de cet âge innocent passé au pied de sa colline de Fourvière. Avec beaucoup d’émotions et pas mal de courage, il y dresse le portrait de son paternel, figure qui l’a longtemps hanté et qu’il a si souvent écartée.

Ne pouvant revivre ou refaire son passé, Chalandon a pris l’habitude, à travers ses livres, d’envoyer ses personnages explorer à sa place ses parts de regret ou de doute. Et pour cette confrontation avec son père, il a choisi de mandater un certain Émile Choulans, 13 ans. « Choulans » comme cette rue du 5e arrondissement de Lyon, tout près du quartier de Saint-Irénée, ce quartier où a grandi le jeune Sorj. C’est donc à travers les yeux et les pensées d’Émile que Chalandon nous présente un père, son père, tour à tour fantasque, menteur, tyrannique, violent mais surtout malade.

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Au cœur du mensonge

Armand Choulans élève son fils à travers le seul prisme de ses folles affabulations, s’inventant mille et une vies et autant de professions. Chanteur aux Compagnons de la chanson, footballeur professionnel, professeur de judo, pasteur pentecôtiste, parachutiste, conseiller personnel de Charles de Gaulle ou encore agent secret. Déçu et trahi par le Général, il confie à son fils avoir choisi, au nom de l’Algérie française, de rejoindre l’OAS de Salan, Challe, Jouhaud et Zeller. Nous sommes en avril 1961, au lendemain du putsch des généraux. Et c’est en héros qu’Émile regarde alors son père, les pupilles brillantes d’admiration. Il est prêt à tout pour rejoindre à son tour les rangs des rebelles, acceptant les missions les plus insensées : comme aller écrire à la craie sur tous les murs de la ville des slogans pro-OAS ou courir poster en plein milieu de la nuit des lettres de menaces anonymes aux domiciles des « traîtres ». Qu’importent les ordres pourvu que son père soit fier ! Mais gare à l’échec : le courroux paternel se révèle souvent brutal et fracassant

« Le vice de la fiction »

Sans doute moins spectaculaire que le Belfast de Mon traître ou que le Beyrouth du Quatrième Mur, le Lyon de Profession d’un père ne s’en révèle pas moins bouleversant. La force de l’écriture reste tout aussi saisissante, l’art du détail plus affirmé encore, l’auteur décrivant chaque geste, chaque bruit, chaque odeur avec une minutie d’orfèvre. On y retrouve par ailleurs les thématiques chères à l’auteur, comme l’intimité de la petite histoire prise dans les affres de la grande, l’héroïsme fantasmé, la tromperie. À travers cette relation père-fils, Sorj Chalandon se livre sans détour, laissant courir en toute sincérité sa plume confidente. Il nous introduit au cœur de cette « drôle » de cellule familiale, imprégnée de mensonges – ceux du père – et de non-dits – ceux d’une mère effacée, humiliée, écrasée. Sans haine ni rancune, l’écrivain « libère » un récit puissant et profondément personnel. Celui d’une enfance volée, dévorée par une folie destructrice. Folie qui, il l’avoue volontiers, aura eu le mérite de lui donner « le vice de la fiction ». Chalandon aura simplement su apprendre à la maîtriser et à la circonscrire avec brio aux seules pages de ses romans.

Prix du Style 2015

Paru le 19 août 2015

Article rédigé par
Pauline
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