Avec « To Pimp A Butterfly », Kendrick Lamar montre pourquoi on a vu en lui l’avenir du rap. Plus que cela, c’est un artiste accompli qui se dévoile. Sans être réellement étonné, on n’en est pas moins agréablement surpris.
C’est peu de le dire que l’on attendait le nouvel album de Kendrick Lamar, To Pimp A Butterfly. D’une part parce que, pour ceux qui le suivent depuis le début, on sait le rappeur de Los Angeles plus que doué que les autres, d’autre part, parce que son deuxième album, Good Kid, m.A.A.d Citysigné chez Interscope le label de Dr. Dre, avait giflé la planète entière tant il apportait un souffle nouveau dans le rap américain.
Avec ce nouveau projet, Kendrick Lamar prouve une chose : il est définitivement hors normes et sans se tromper, on peut oser la comparaison avec Kanye West. Musicalement et artistiquement, Kendrick comme Kanye explose les strictes frontières du rap. On peut aimer ou pas, mais force est de constater que ce nouvel album n’est pas classique dans le sens rapologique du terme. Kendrick fait clairement évoluer sa musique et, comme Kanye West l’a fait en son temps, il emmène son rap vers de nouvelles contrées. Moins technique mais plus subtile, Kendrick Lamar prouve que, pour lui, le mot évolution n’est pas un concept vain.
Il y a quelques années, quand je découvrais Kendrick Lamar (j’en remercie encore mon ami Greg…), j’ai rapidement constaté que ce type était fort, ce qui n’était pas vraiment difficile en fait. Ce que l’on ne savait pas à cette période, c’est jusqu’où il serait capable d’aller, d’autant plus que signer avec Dre n’est pas un gage de réussite (on pense à un autre rappeur doué de Los Angeles, Bishop Lamont par exemple). Aujourd’hui, on sait. Le natif de Compton est un grand, voire même un très grand. Maintenant qu’il est installé, il peut se lancer dans autre chose que du rap « pur » : il chante, il ambiance, il rappe, parfois les trois en même temps sur un seul titre ce qui peut être légèrement déstabilisant, mais loin d’être désagréable, au contraire, même si, puristes que nous sommes, on aimerait parfois le voir revenir à quelque chose de plus « basique » et « strictly hip-hop ».
Mais soit, Kendrick a choisi une voie, à nous de la suivre. Pour cela, il faut accepter l’ouverture. Car, à bien y écouter, il y en a pour tous les goûts dans un disque particulièrement bien travaillé qui donne vraiment un très large aperçu du talent de Kendrick Lamar. On le savait grand, il s’avère immense et sur 16 morceaux, il s’amuse, batifole, nous perd parfois. Mais ne vous y trompez pas, lui n’a rien perdu : quand il faut rapper, il rappe, quand il faut chantonner, il chantonne, quand il faut se faire dur, il se fait dur, quand il faut y aller mollo, il y va mollo. Son adaptation à des prods (fournies notamment par Dr. Dre, Boi-1da, Sounwave, Pharrell Williams ou Rakhi) aux BPM finalement assez lents est impressionnante. Son travail de placement et de rimes laisse parfois pantois et on aime quand il revient à des beats très jazzy comme ceux que l’on retrouvait sur Section 80.
Si l’ouverture semble être le maître mot du disque, ne nous y trompons pas quand même, les bases rapologiques de Kendrick Lamar sont solides. Simplement, l’artiste est tellement haut et loin qu’il ne s’embarrasse plus de codes et vogue vers de nouveaux horizons. La comparaison avec Kanye West prend alors tout son sens… C’est jazzy, c’est hip-hop, c’est soul, c’est parfois pop, c’est P-Funk, le nombre d’influences est sans fin (puisées majoritairement dans la musique noire) et sa réussite est d’avoir tout synthétisé pour en faire quelque chose de cohérent et de musicalement indiscutable.
Niveau lyrics, c’est un peu pareil. Il y a plusieurs directions dans cet album sans que l’une prenne le pas sur l’autre. Le single The Blacker The Bertry, véritable brûlot politique allant à l’encontre de l’affirmation de soi et de l’insouciance véhiculée par « i » ne donne pas totalement le ton comme on pouvait le penser. Si Kendrick Lamar est conscient, il n’est pas devenu KRS-One non plus. Le contenu du disque n’est pas aussi dur qu’on pouvait le penser, même s’il y a de nombreuses pistes propices à la réflexion : la place de l’homme noir, la société d’aujourd’hui, le racisme, l’esclavage… Mais cela offre un plus au disque, qui ne se dépare pas non plus d’humour et de gaîté, ce qui lui permettra de passer dans des soirées pour faire remuer les corps.
On vous l’a dit, il y en a pour tous les goûts sur cet album ! Car là où Kendrick Lamar est vraiment supérieur, c’est dans sa force d’interprétation qui lui permet de véhiculer une palette entière de sentiments. L’album est d’une telle densité et parfois d’une telle complexité qu’il faut plusieurs écoutes pour bien l’appréhender. Il y a tellement de choses, tant musicales que lyricales, qu’une seule écoute ne suffit pas à englober la totalité d’un projet qui place la barre très haut.
D’ailleurs, si on y réfléchit bien, ce n’est qu’une suite logique en fait. Ni plus, ni moins. Ce projet est dans la droite ligne de ses deux précédents albums : chrysalide pour Section 80, Kendrick est devenu papillon pour Good Kid, m.A.A.d City, avant de prendre véritablement son envol avec To Pimp A Butterfly. Certainement une des raisons qui expliquent pourquoi Kendrick Lamar est si haut…
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Retrouvez notre interview à l’occasion de la sortie de l’album !