Critique

La Chine d’en bas, Liao Yiwu donne la parole aux sans voix

27 mai 2014
Par Frédérique
La Chine d'en bas, Liao Yiwu donne la parole aux sans voix
©dr

Liao Yiwu est un écrivain chinois né au Sichuan en 1958 et exilé en Allemagne depuis 2011. Tout va basculer pour lui en juillet 1989, au moment des massacres de la Place Tian’anmen. « La Chine d’en Bas », plutôt qu’une photographie de la Chine est un recueil de portraits/interviews, diaporama chronologique qui, à travers des destins qui nous semblent hors du commun, retrace l’histoire contemporaine du pays.

Liao Yiwu est un écrivain chinois né au Sichuan en 1958 et exilé en Allemagne depuis 2011. Il est le fils d’un ancien propriétaire foncier, donc considéré comme suspect. Sa famille subit de plein fouet la famine de 1960 et la Révolution Culturelle initiée en 1966. Mais tout va vraiment basculer pour lui en juillet 1989, au moment des massacres de la Place Tian’anmen.

Au départ, Liao Yiwu n’est pas un activiste politique, mais plutôt un jeune intellectuel abreuvé à la fois de culture chinoise et ouvert sur l’Occident, Rimbaud, Apollinaire, les poètes de la Beat Generation. Il commence à se faire un nom en tant que jeune poète au talent prometteur, même si certains de ses textes comportent déjà des critiques (remarquées) de la société chinoise. Il ne suit que de très loin les premières manifestations en 89, jusqu’à la prise de conscience du drame imminent. Il écrit alors un long poème, Massacre, qu’il enregistre ensuite et fait circuler sous le manteau. Cela lui vaudra d’être emprisonné pendant quatre ans dans des conditions terribles et d’être sur la liste noire des autorités en tant que dangereux dissident. S’il continue d’écrire à sa sortie, il doit se débrouiller comme il peut pour vivre (notamment comme musicien de rue). Une grande partie de ses anciens amis lui tourne le dos, sa femme l’a quitté. Un premier livre sort en 2003 hors de Chine, L’empire des bas-fonds, série de portraits sous forme d’interviews de petites gens, de victimes du système, d’exclus, de repris de justice rencontrés en prison ou dans sa nouvelle vie de paria. Mais une autre publication lui vaudra à la fois la reconnaissance internationale et l’exil : Dans l’empire des ténèbres, qui raconte ses années de prison, la torture, les humiliations, les mauvais traitements. Ce brûlot explosif, comparé à L’archipel du goulag de Soljenitsyne l’obligera à fuir de Chine, il vit maintenant en Allemagne.

La Chine d’en bas, sorti ce printemps chez 13e Note, reprend plusieurs portraits de l’Empire des bas-fonds, que l’auteur a retravaillés. Il ajoute notamment une introduction à chaque interview, et a enrichit la collection de nouveaux portraits. Écrit sur plusieurs années  et auprès de plusieurs générations de chinois, ce recueil de portraits/interviews n’est pas une photographie de la Chine mais plutôt un diaporama chronologique, qui à travers des destins qui nous semblent souvent hors du commun, retrace l’histoire contemporaine du pays. Les premiers récits parlent de la guerre entre les nationalistes et les communistes, viennent ensuite le grand bond en avant (1958-1960), la grande famine de 1960 qui en résulta, la Révolution Culturelle (1966-1969), la mort de Mao (1976) et l’arrivée de Deng Xiaoping en 1978, jusqu’aux évènements de Tian’anmen en 1989. Nous découvrons comment on peut être amené à payer pour les prétendus crimes de ses parents, de ses enfants, comment celui que se croit dans la ligne peut se retrouver subitement en disgrâce. On y découvre aussi des petits métiers surprenants comme ces promeneurs de cadavres, dont la profession consiste à transporter à pied, parfois sur des centaines de kilomètres, des personnes décédées loin de chez elles, ou bien ces pleureurs professionnels. Le livre se termine par un témoignage sur le tremblement de terre survenu en mai 2008 au Sichuan.

Si le point commun de tous ces personnages est de vivre exclu de la société chinoise, ils viennent d’horizons très différents, un compositeur, un ancien fonctionnaire, un chanteur de rue, un moine bouddhiste, un professeur de lycée, le père d’un étudiant mort en 1989. Parfois volontairement hors la loi ou dissidents, ils sont très souvent victimes involontaires d’un système implacable, à jamais catalogués, exclus, sans perspective de salut. On est particulièrement étonné par le peu de rancune et d’amertume dont font preuve la plupart de ces personnages qui doivent surtout penser à survivre et à nourrir une famille, avant de penser à se rebeller. Ce catalogue d’injustices et de malheurs donne un autre éclairage à l’histoire contemporaine de la Chine, en donnant la parole à ceux qu’on n’entend jamais, en apportant une foule de détails qu’un occidental ne pourrait imaginer, comme les cas d’anthropophagie durant la grande famine. Malgré toute la sauvagerie qui y est dépeinte, l’humour est aussi présent, dans le regard de Liao Yiwu d’abord, qui se permet parfois de se moquer gentiment de son sujet, mais aussi chez la personne interrogée quand elle arrive à regarder ses déboires avec une certaine distance.

Complètement immergé dans une Chine insolite et terrible, on subit un vrai choc culturel. On ne sort pas indifférent de la lecture de ces témoignages transmis pour nous par Liao Yiwu, qui a payé très cher son engagement au service de la vérité.

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