Homme a priori normal et paisible à première vue, Kvothe voit sa retraite bouleversée par des incidents survenant aux alentours. Et le moindre n’est pas Chroniqueur, qui s’est mis en tête de lui soutirer son histoire, la vraie, la sienne. Kvothe accepte, sous la condition que Chroniqueur lui consacre trois jours entiers. « Le Nom du Vent » est la première journée de ce récit.
« Si cette histoire doit répertorier mes faits et mes gestes, nous devons commencer par le commencement. Au cœur de ce que je suis vraiment. Pour cela, vous devez garder à l’esprit qu’avant tout, je suis un Edema Ruth »
En Fantasy, tout semble avoir été écrit, et pourtant, chaque fois, une perle délicieuse vient s’ajouter à ce magnifique collier, l’embellissant d’une teinte nouvelle, fraîche, novatrice, ou tout simplement brillante. Si beaucoup d’œuvres sont plaisantes à lire, toutes ne nous laissent pas une forte impression, le temps a généralement raison des souvenirs qu’elles nous ont laissé, quand elles nous en ont laissé.
La trame du Nom du Vent appartient au second groupe, à celui qui laisse une forte empreinte, celui que nous cherchons à faire partager aux proches et aux moins proches. Ce groupe, assez restreint en ce qui me concerne, des œuvres que je relis avec au moins autant de plaisir que lors de la première fois !
Pourtant, Patrick Rothfuss nous livre une histoire dans la veine des nombreux classiques de la Fantasy (roman d’apprentissage où l’on suit les aventures et déboires d’un enfant/adolescent, où on le voit grandir, mûrir et avancer, vers le pire, le meilleur, ou plus souvent, à mi-chemin entre les deux), tels les Chroniques de Krondor, la Belgariade, l’Assassin Royal ou même de la Stratégie Ender en SF, pour ne citer que certains des plus connus et parmi les meilleurs à mon sens. Mais si le fond est classique, il est d’une part travaillé avec beaucoup de talent, cohérence et sagacité, et d’autre part, servi par une forme plus originale, puisque deux narrations cohabitent, celle dans le temps ‘présent’, externe, et dans le récit de la vie de Kvothe proprement dit, par lui-même, et donc à la première personne. Une construction habile, vivante, à l’instar d’un Princesse Bride (sans virer toutefois dans le pastiche).
Et pour ne rien gâcher au plaisir, le style est très plaisant, vivant et imagé. Je suis assez heureux de la traduction, que je trouve à la hauteur du défi. Si Patrick Rothfuss ne nous abreuve pas d’envolées oniriques comme Roger Zelazny, il arrive à nous plonger avec beaucoup de justesse dans son monde, à nous retranscrire les émotions ressenties par Kvothe, et nous maintenir en haleine par un rythme savamment dosé.
La Chronique du Tueur de Roi n’a qu’un seul défaut aujourd’hui, c’est d’être un cycle incomplet, puisque la deuxième journée nous est récemment parvenue en deux tomes, et que l’attente de la suite et conclusion sera certainement aussi longue et stressante que celle d’un tome du Trône de Fer. Il fait partie de ces cycles qui se dévorent et se dégustent à la fois, parce que si le lecteur est impatient de connaître la suite, il prend du plaisir sur la lecture en elle-même, les descriptions, dialogues, détails pittoresques, burlesques ou au contraire, dramatiques.
Le Nom du Vent a quelque chose qui lui permet de se détacher des autres écrits de Fantasy actuels, une force de caractère propre, une individualité, pour ne pas dire une personnalité qui lui permet de se dresser et de réclamer à se placer parmi les plus grands !