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Albert Cohen – Biographie amoureuse

05 juillet 2013
Par Mika
Albert Cohen - Biographie amoureuse
©DR

Impossible de passer à côté d’un petit post dédié à Sieur Cohen Albert mis actuellement en lumière par la sortie en salle de « Belle du Seigneur ». Je ne me risquerais pas à commenter cette adaptation cinématographique que je n’ai pas encore vu et qui titille mes préjugés snobinards – boycott, boycott pas ? – si la question est : est-il possible d’adapter à l’écran cette forteresse littéraire ? Je dirais non à priori.

Impossible de passer à côté d’un petit post dédié à Sieur Cohen Albert mis actuellement en lumière par  la sortie en salle de Belle du Seigneur. Je ne me risquerais pas à commenter cette adaptation cinématographique que je n’ai pas encore vu et qui titille mes préjugés snobinards -boycott, boycott pas ? – si la question est : est-il possible d’adapter à l’écran cette forteresse littéraire ? Je dirais non à priori. Il faut savoir que Bella Cohen, épouse d’Albert était jusqu’à sa mort la gardienne de l’œuvre de son mari et qu’elle accueillit avec indulgence le scénario du réalisateur Brésilien Glénio Bonder, récemment décédé à l’âge de 55 ans sans avoir pu voir son film monté et encore moins sortir.

Plutôt que de m’étaler grassement mais toujours avec grâce, en une longue biographie de l’homme et de l’écrivain je préfère vous proposer un tout petit listing des livres de Monsieur Albert Cohen qu’il est inconcevable de ne pas avoir lu avant de mourir. Ainsi pour commencer voici l’autre livre avec Belle du Seigneur à lire absolument : Le livre de ma mère, œuvre majeure dans la carrière de l’écrivain et mais aussi dans la vie de celui qui le lit.

A la mort de sa mère, Albert Cohen décide de témoigner de son amour en se mettant en marge de la fiction quelque temps pour lui préférer l’autobiographie. Le « Je » en littérature  n’a de valeur que si il atteint l’universalité d’une analogie où se reconnaître, tout en étant capable de faire évoluer notre regard sur les êtres, les choses et le Monde. Albert Cohen réussit ainsi l’exploit de ne pas faire avec son nombril de l’ego-trip bas de gamme dont l’intérêt ne résiderait que dans l’étonnement de nous retrouver devant si gros melon. La biographie d’Albert Cohen démontre qu’il était un homme dégagé de toute forme de fatuité et qu’à contrario il appelait de toutes ses forces l’Humanité à retrouver l’unité.

Dans Le livre de ma mère Albert Cohen déclame sa mère – oh et ah – et cette mère sous la tutelle du « Je«  fait écho à tous les enfants et aux mères en général. On apprend d’Albert l’enfant ce qu’était pour lui cette mère, l’éducation qu’il reçut, l’odeur qu’elle avait, les choses qu’elle faisait, … L’adulte interroge l’enfant pour éclairer la mère et lui fabriquer une image d’Epinal puis accuse l’adulte qu’il est devenu de ne pas avoir su exprimer ou avoir été là pour elle au moment de sa mort. Une statue est érigée au nom de la Mère des mères, du deuil qu’il faudrait en faire, du deuil impossible à faire.

Cette impossibilité fait de la mère divinité et l’oblige de s’assoir tutélaire sur les autres figures rencontrées et qu’on rencontrera dans le roman. Ainsi, entre deux chapitres ou nous apprenons que Cohen et Pagnol se connaissaient depuis l’enfance, qu’ils furent amis jusqu’à la fin de leur vie et dans lesquels Cohen fait un parallèle entre la mort de son ami et de sa mère pour mieux exprimer la douleur analogue causée par la perte des êtres aimés, scandant la mort de la mère tel un mantra qui forcerait à accepter l’inacceptable. Alors évidemment c’est pas très joyeux mais ça creuse en profondeur vos émotions et vous oblige à vous interroger sur la nature de votre relation avec votre propre mère. Il va sans dire que l’écriture de Cohen est toujours aussi somptueuse et qu’elle exercera ce même pouvoir d’attraction – répulsion pour les uns et d’attraction – adhésion – adoration pour les autres, … emphase quand tu nous tiens !

Ô Vous Frères humainsUn autre livre qui a son importance et qui dont on pourrait extraire l’essence en cette phrase « Si ce livre pouvait changer un seul haïsseur, mon frère en la mort, je n’aurais pas écrit en vain » (Chapitre III). En choisissant un titre qui apostrophe directement celui qui tombe sur ce livre, Albert Cohen prend le parti de ne pas s’adresser seulement à ses lecteurs ou au lecteur en général, avec l’espoir de convertir et d’invoquer directement l’Homme en vous, en nous. On trouvera dans ce court texte une clef de compréhension supplémentaire de l’homme Albert Cohen. Ce qui aura amené sa réflexion à dépasser sa seule perception du monde et de l’envisager de l’extérieur.

Le postulat de départ est simple : L’enfant Albert est heureux de vivre et d’être choyé par des parents aimants. C’est un bon élève et il vit sa vie d’enfant naïvement ainsi que le faisaient autrefois les enfants. « Youpin » est le mot que lui dit un camelot en le chassant de son étal. Cohen est juif et vit dans un monde de chrétiens, ici il prend conscience qu’il est un « étranger » pour quelqu’un, peut-être pour d’autres… Cette propension qu’à cet autre de rejeter autrui sous prétexte qu’il est différent est le déclencheur de toute une vie de recherche à tenter de ramener l’humain à ce qu’il est, un mourant. De par cette fatalité, l’humain ô devrait revoir ses dispositions à juger l’autre puisqu’au final eh à la fin le trou l’est pour tout le monde.

Albert Cohen ne peut concevoir la violence des individus comme la réponse définitive de la condition humaine. Elle participe d’idées préconçues et fausses sur les êtres qui ne pourraient – ne sauraient être – définis par une seule identité culturelle et/ou religieuse … Autour de cet événement s’articule le désenchantement d’Albert Cohen pour la bourgeoisie moralisatrice et hypocrite, son rejet des religions, ses réflexions sur la Mort et sa condamnation de la fascination de l’homme pour la force, son cheminement vers la tolérance et sa fameuse « tendresse de pitié » de l’homme envers son prochain.


Avec Solal nous voici au troisième et dernier texte de cette petite liste. Solal oui le Solal de Belle du Seigneur, le même mais plus jeune, impétueux, solaire, absolument vivant, terriblement écorché par ses passions qu’elles soient politiques ou amoureuses. Solal est le premier roman d’Albert Cohen, le premier d’une tétralogie baptisée Les valeureux et qui dessine la perspective de ce que seront les suivants MangeclousBelle du seigneur donc et enfin Les valeureux.

Dans ce premier épisode nous assistons à la montée en puissance du personnage de Solal. Un jeune homme brillant, beau très très très beau même, pétri d’ambition, emphatique sur tout et pour tout, mais dont le tempérament ombrageux orageux colérique tumultueux l’empêche pleinement d’en jouir. Solal aime les femmes et  semble les détester en même temps, Solal  n’est pas dupe il sait que sa grande beauté, le parfait alignement de ses dents, est le seul et unique argument qui convainc « les femelles » de lui céder leur charme, « ces babouineries » comme il appelle cela. Les amours de Solal sont très souvent contrariés, c’est un homme insatisfait dont l’utopie réside dans un amour désintéressé voire dématérialisé, ici encore nous aurons le droit à une tentative amoureuse vouée à l’échec car non partagée. Amour impossible Ah !

Entrecoupé par « nos valeureux » juifs bienheureux – consternés par à peu près tout ce qui les entourent mais d’un optimisme éclatant – ces chapitres montrent l’ampleur comique d’un Cohen quelque peu cynique et absolument conscient des défaillances d’un monde politique qu’il ridiculise sans cesse dans des passages hilarants.

Pour tout dire, l’entière œuvre d’Albert Cohen me semble indispensable de par les thèmes abordés qui font écho toujours au monde aujourd’hui et qui dénoncent un matérialisme de plus en plus entravant, le racisme, l’individualisme, l’identité religieuse qui divise plutôt qu’unir, l’Amour haut évidemment ô et cette incapacité de l’homme de le donner et de l’accueillir en se dépouillant de lui-même, de son ego. Si Cohen ne prône pas l’amour du prochain parce qu’il savait que l’on ne peut se mettre qu’à la place de ce qui nous a traversé l’âme et la chair, il milite pour une acceptation de l’autre dans sa totalité puisque ce que nous partagerons tous, ce liant commun qui devrait nous faire poser les uns sur les autres un regard bienveillant, c’est la tombe.

Monsieur Albert Cohen, je vous aime.

Article rédigé par
Mika
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