La journaliste et femme politique vient de faire paraître son premier roman, une plongée réaliste et lucide dans les méandres de la « vie politique ».
On connaît surtout Clémentine Autain pour ses fonctions politiques : elle est actuellement députée en Seine-Saint-Denis et conseillère régionale d’Île-de-France. Rattachée au parti de La France insoumise (LFI), Clémentine Autain est aussi engagée dans la lutte pour les droits des femmes. Elle a déjà publié de nombreux essais sur la question, dont Les Droits des femmes. L’inégalité en question (Milan, 2003), Les Machos expliqués à mon frère (Seuil, 2008), Un beau jour… Combattre le viol (Indigène Éditions, 2011), ou encore Ne me libère pas, je m’en charge. Plaidoyers pour l’émancipation des femmes (Flammarion, 2013). En 2019, elle faisait paraître un texte plus intime, sous la forme d’une lettre adressée à sa mère décédée quand elle avait 12 ans, Dites-lui que je l’aime (Grasset).
Assemblées reste néanmoins le premier roman de l’autrice. Et si trois femmes s’y trouvent « assemblées », c’est qu’elles partagent toutes une forme de fascination amoureuse et-ou érotique pour le même homme, Antoine Paulin. Pourtant, ce n’est pas ce député charismatique qui occupe la plume de Clémentine Autain. Car ce à quoi s’attache véritablement l’autrice, c’est plutôt à dresser trois portraits de femmes ; et c’est la grande réussite d’Assemblées, qui rend justice, dès ses premières pages, à ces personnages réalistes et complexes.
Trois portraits magistraux
On croise ainsi Lila, une transfuge de classe qui a « trop subi l’humiliation pour échapper à l’esprit de revanche ». En s’engageant dans une relation – aussi légère soit-elle – avec Antoine, Lila cède à un désir qui contrarie ses convictions : elle travaille pour le parti politique de l’opposition, alors que le député appartient au parti qui gouverne alors le pays.
« Lila a toujours besoin d’un schéma d’analyse, fût-il bancal ou provisoire. Elle ne sait pas avancer à tâtons, il faut qu’elle se donne l’impression de dominer la situation. Quelques jours à se laisser porter par la vague, c’est le maximum qu’elle puisse s’autoriser. Alors elle admet une part de folie, s’autorise un écart, théorise son besoin de sortir des sentiers battus. Pour voir. »
Clémentine AutainAssemblées
On croise aussi Estelle, l’épouse d’Antoine, auquel elle offre son « appui constant, teinté de clémence et d’encouragements critiques ». Si elle « se sent souvent seule avec lui, même quand il est physiquement là », Estelle a conscience de la place qu’occupe Antoine dans sa vie. Il est à la fois « son pilier, son repère, son ancrage » et « son ticket d’entrée dans l’univers du pouvoir ».
« Antoine avait changé, c’était évident. Mais Estelle se rassurait, son mari lui revenait toujours. N’était-ce pas l’essentiel ? Antoine lui appartenait. Sans vraiment se l’avouer, ou plutôt l’assumer, elle avait investi un rôle, celui de la reine des abeilles. Elle était la première, elle était celle qui évinçait toutes les autres. Cette pensée gonflait son orgueil. »
Clémentine AutainAssemblées
On croise enfin Jeanne, collaboratrice d’un député de gauche et militante féministe, qui s’interroge parfois sur « ce décalage entre son engagement au service d’une gauche modérée et le degré de ruptures auquel elle aspire » et qui se prend d’une violente fascination érotique pour Antoine.
« Après avoir écrasé son mégot dans une tasse à café sur le rebord de la fenêtre, Jeanne retourne dans le frigo et s’ouvre une canette de Coca Zéro. Venue à la politique d’abord par l’écologie, elle s’en veut de ne pas boire développement durable mais elle adore le petit bruit de la mousse qui se dégage avec ce simple geste. Un pschitt. Pas de sucre, pas de caféine, il ne reste rien des promesses de Coca-Cola, Jeanne le sait, elle boit du rien, et alors ? »
Clémentine AutainAssemblées
Un texte résolument moderne
En dépit de ses qualités et du charme qu’il sait exercer – il faut dire qu’Antoine Paulin appartient non seulement à « cette catégorie d’hommes qui embellissent en vieillissant », mais qu’il a aussi « l’assurance de ceux qui sont habitués à se situer au-dessus de la mêlée » ! – le député reste donc, pour Clémentine Autain, un prétexte. Car ce que s’offre l’autrice, par le biais d’Antoine Paulin, c’est l’occasion de rassembler trois personnages féminins autour de leurs ambiguïtés, de leurs impensés, de leurs désirs et de leurs déceptions.
Mais Assemblées constitue aussi une plongée réaliste et lucide dans les rouages de la « vie politique » et de celles et ceux qui la vivent. La plume de Clémentine Autain est efficace et rythmée, et on se laisse entraîner avec plaisir dans la vie de ces femmes complexes, puissantes et désirantes. Alors qu’elle fait du monde politique le terrain idéal d’un vaudeville contemporain, l’autrice explore et s’amuse de ce à quoi on consent par amour ou par désir. En toute habileté, elle démontre surtout l’ampleur de ce que peuvent les nouvelles voix pour la littérature.
Assemblées, de Clémentine Autain, Grasset, 234 p., 20 €. En librairie depuis le 8 juin 2022.