C’est sans doute le premier « bad buzz » de ce 75e Festival de Cannes : à la vieille de la remise des prix du premier festival TikTok, nouveau partenaire du Festival de Cannes, le réalisateur Rithy Panh, président du jury, a décidé de démissionner et a dénoncé les pressions de la plateforme.
Cette année, les organisateurs du Festival de Cannes ont fait des pieds et des mains pour attirer un public plus jeune sur la Croisette : un nouveau partenariat exclusif avec Brut, une expérience immersive – plus ou moins risible, par ailleurs – dans le metaverse de Fortnite et un nouveau festival de courts-métrages lancé sur TikTok, la plateforme chinoise qui compte aujourd’hui plus d’un milliard d’utilisateurs.
Depuis le début de la compétition, la plateforme affiche partout son nouveau slogan – « Ceci n’est pas un film, c’est une vidéo TikTok » – et a vu plusieurs de ses influenceurs fouler le tapis rouge. La toute nouvelle compétition, intitulée #TikTokShortFilm, doit remettre en ce vendredi 20 mai trois prix différents – un grand prix, le prix du meilleur scénario et celui du meilleur montage – pour des vidéos courtes publiées entre le 15 mars et le 8 avril et comprises entre trente secondes et trois minutes.
Un manque total d’indépendance ?
Le jury de ce festival TikTok est composé des réalisatrices Camille Ducellier, Basma Khalifa et Angèle Diabang, ainsi que par la star italienne de TikTok, Khabane – « Khaby » – Lame, qui compte plus de 138 millions d’abonnés et dont les vidéos cumulent plus de deux milliards de likes sur la plateforme. Mais à la veille de la remise des prix, à laquelle le délégué général du festival, Thierry Frémaux, est censé prendre part, le président du jury Rithy Panh a tout simplement décidé de jeter l’éponge.
Le réalisateur franco-cambodgien, dont l’oeuvre documentaire est essentiellement consacrée à la mémoire des atrocités perpétrées au Cambodge par les Khmers rouges (il fut le premier réalisateur cambodgien à être invité au Festival de Cannes, pour son film Les Gens de la rizière en 1994), a démissionné et a dénoncé dans la foulée les pressions de la plateforme chinoise, soulignant un manque total de liberté, a révélé The Hollywood Reporter.
« Il faut que TikTok comprenne qu’un jury c’est souverain. Vous pouvez choisir des films, ça s’appelle la sélection, choisir le jury, mais après il faut laisser le jury faire son travail », a déclaré le réalisateur auprès de l’AFP. L’équipe européenne de la plateforme aurait été trop insistante et aurait multiplié les suggestions pour les lauréats auprès d’un jury pressé par le temps.
« Une compétition avec un jury, cela doit rimer avec une indépendance totale sur les choix. Je regrette que ça n’ait pas été le cas », déclarera le réalisateur dans L’Obs, soulignant que les propositions de plateforme étaient dirigées vers des créateurs établis et politiquement neutres. À ce stade, nul ne sait si la démission de Rithy Panh aura une incidence sur la compétition, à l’issue de laquelle les lauréats sont censés recevoir une dotation conséquente (10 000 euros pour le grand prix, 5 000 euros pour les deux autres).
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la plateforme aurait changé de stratégie et Rithy Panh serait plus ou moins revenu sur sa décision, le réalisateur déclarant : « Le TikTok Short Film Festival reconnaît désormais l’indépendance et la souveraineté du jury. Et donc ce sera pour moi un plaisir de rencontrer les vainqueurs lors de la cérémonie de remise des prix ».