Simon Astier a créé, écrit et réalisé Visitors, une série qui joue avec les codes d’un certain cinéma de genre. On le retrouve également devant la caméra dans le rôle principal. Nous avons discuté avec lui de ses influences et de son rapport à cette culture particulière.
Le tout premier plan de la série montre le panneau à l’entrée de la bourgade et plante le décor, à l’instar du Twin Peaks de David Lynch. Pourquoi la petite ville où se situe l’action de Visitors s’appelle-t-elle Pointe-Claire ?
Parce qu’il s’agit de la partie émergée de l’iceberg. Cette la toute petite surface visible qui cache le reste. Dans l’intrigue, ça a du sens, tous les détails en possèdent, et j’ai même semé des indices pour la suite. Pointe-Claire est un lieu qui existe au Canada. Là non plus, il ne s’agit pas d’un hasard. J’entretiens un lien très fort avec les Québécois, qui ont un rapport à la langue qu’ils défendent comme un élément constitutif de leur culture et de leur identité. Ils chassent les anglicismes et traduisent tout de manière littérale, ça donne lieu à des expressions qui relèvent de la poésie.
On m’a déjà formulé cette remarque au sujet de la série de David Lynch. En réalité, elle me parle moins. On m’a aussi cité Retour vers le futur. À vrai dire, ma base de réflexion pour la ville de l‘intrigue, je l’ai puisée dans Rambo.
À propos de la langue, vous avez apporté un soin particulier aux textes. Les lignes de dialogues sont-elles écrites avec précision ou avez-vous laissé une part d’improvisation à vos comédiens ?
L’improvisation à l’image, je n’y crois pas trop. Je crois davantage en l’écriture. J’essaie toujours d’élaborer des dialogues faciles à prononcer, avec un certain naturel. J’aime traiter chaque personnage de manière à ce qu’il puisse se dire qu’il est le héros de l’histoire. Chacun possède son petit territoire qui constitue son centre personnel dans l’univers que je dépeins.
Visitors fourmille de références cinématographiques. Parlons de celles qui vous ont nourri pour écrire cette histoire.
J’ai grandi dans les 1980, 1990, avec un cinéma de l’époque qui aujourd’hui revient à la mode, notamment celui de Spielberg et sa façon presque naïve, dans le sens noble du terme, de raconter des histoires dans des mondes loin de notre réalité, mais avec une extrême sincérité. Visitors, c’est un mélange de créatures sans cervelle, une forme de menace pure, avec les enquêtes de Mulder et Scully sur le paranormal dans des bleds paumés.
À cela, vous ajoutez des influences inconsciemment digérées. On retrouve cette candeur chez les personnages de geeks qui tiennent une boutique de jeux vidéo. Spielberg constitue presque un parent de substitution à certains moments de ma vie : E.T. l’extra-terrestre m’a éduqué à la tristesse, à la gestion de l’abandon. Vous pouvez aussi ajouter La Famille Addams, le cinéma de Tim Burton. J’assume l’héritage de ce cinéma qui m’a construit, en multipliant des hommages directs dans ma série. Mais elle ne s’adresse pas seulement aux gens de ma génération. J’aime que chacun puisse y projeter ses propres références.
D’ailleurs, y a-t-il une référence à La Soupe aux choux, dans ces scènes où deux personnages souffrent de problèmes gastriques ?
(Rires) Ah non, je pense davantage à Polly et moi, avec Ben Stiller, dont le personnage mange un peu trop épicé. J’aime beaucoup cette façon qu’ont les comédies américaines de passer d’un humour très fin à une scène plus triviale, un peu comme dans la vraie vie, où on peut passer du rire aux larmes puisqu’on peut vivre des événements très différents les uns des autres dans la même journée.
Votre série joue beaucoup avec les codes d’un certain cinéma de genre. Comment jongler avec eux sans sombrer dans la caricature ?
Pour commencer, mon objectif n’est pas de verser dans la parodie. Je ne cherche pas à faire du Scary Movie, où on indique à chaque seconde au spectateur qu’on se moque d’une référence au détriment de l’histoire. Je n’aime pas faire des pastiches, car pour moi, ce serait presque manquer de respect à mes personnages et à mon histoire. J’aime les clins d’œil, c’est pour ça que j’ai des fédéraux dans ma série, par exemple. Mais chaque personnage doit défendre son propre agenda.
En clair, la comédie ne doit jamais supplanter l’histoire. Le comique se joue dans les détails plutôt que dans une dynamique de gags : les poses des agents du FBI ou leurs accessoires, le regard caméra d’un journaliste imbu de sa personne…
La musique tient une place importante dans Visitors, avec son côté très suranné, entre synthwave et hard rock FM. Comment avez-vous travaillé avec Polerik Rouvière ?
Quand on travaille sur le montage, on essaie différentes musiques pour coller à l’ambiance, et il s’est avéré que la BO d’X-Files comptait parmi les plus efficaces. J’ai été biberonné à cette série, et si vous y prêtez attention, la musique y est omniprésente. Avec Polerik, on a cherché à éviter le revival des années 1980 très à la mode, en utilisant des outils, des instruments, des sons réellement d’époque. C’est pareil pour les optiques de la caméra : on utilise des objectifs des années 1990, de façon à donner à l’image une ambiance organique.
Pour finir, sans spoiler, doit-on s’attendre à un twist final qui ouvre sur une saison 2 ?
Bien sûr ! J’adore les cliffhangers. Je pense que celui de la fin de la saison est à la hauteur.
Visitors, à partir du 10 mai sur MyCanal.