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Dans le Pas-de-Calais, une coopérative lutte contre l’illectronisme

01 mars 2022
Par Florian Gallant
La CoopNum organise des formations pour tous les niveaux.
La CoopNum organise des formations pour tous les niveaux. ©Florian Gallant

L’illectronisme, c’est l’incapacité à se servir des outils numériques. Un mal répandu en zone rurale, entre autres, alors que la dématérialisation des services publics et privés s’y accélère. Pour lutter contre cette fracture sociale, les pouvoirs publics investissent dans des conseillers et centres d’aide au numérique. Exemple à Hesdin, dans le Pas-de-Calais, où la Coopérative numérique aide ceux qui sont perdus devant un ordinateur.

« Ici, on vous accompagne au numérique. » Le mot d’ordre est affiché un peu partout. Exactement comme l’a envisagé, il y a trois ans, Robin Pirez Viron. Tout juste arrivé dans les 7 Vallées – un territoire de 69 communes situé dans le sud-ouest du Pas-de-Calais, à mi-chemin entre Arras et Le Touquet-Paris-Plage – pour raisons familiales, ce touche-à-tout passionné de numérique s’est très vite investi d’une mission : créer à Hesdin, petite commune de 2 300 habitants, un tiers lieu où expérimentations robotiques côtoieraient ateliers pour aider la population à appréhender le numérique. Un seul et unique lieu qui ferait se rencontrer débutants et cadors en informatique.

Il faut dire que le défi est de taille. À l’époque, le territoire n’est pas encore fibré – c’est désormais le cas –, mais, surtout, le numérique paraît lointain pour nombre d’habitants de ce territoire majoritairement rural. 

Champion de l’illectronisme

« Avec l’arrondissement de Maubeuge, nous sommes le territoire des Hauts-de-France où l’illectronisme est le plus présent : 24 % de nos habitants ne savent pas se servir d’un ordinateur ou d’un smartphone », note le nouvel Hesdinois. C’est nettement plus que la moyenne nationale. En effet, en France, selon le Défenseur des droits, près de 13 millions de personnes déclarent rencontrer des difficultés dans l’usage des outils numériques. 16,5 % de la population souffre donc d’« illectronisme » selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). 

Autant dire que le projet de Robin Pirez Viron tombait à pic, comme l’ont expliqué à maintes reprises les élus des 7 Vallées auprès de la presse locale. « Il y a une vraie volonté de la municipalité et de notre communauté de communes – les 7 Vallées – de développer l’usage du numérique, et, pourquoi pas, transformer les logements vacants en bureaux ou espaces de télétravail », rappelait ainsi, fin février, Matthieu Demoncheaux, le maire d’Hesdin. C’est finalement en août 2021 que naît la Coopérative numérique – ou CoopNum – cet espace dédié à toutes les nouvelles technologies en zone rurale. « Très vite, nous avons incité tous ceux qui se sentaient un peu perdus devant un ordinateur à venir nous rencontrer pour leur faire un diagnostic et les accompagner dans leur apprentissage numérique. » Pour attirer les foules, les équipes de la structure ont depuis fait de leur local un lieu d’exposition – avec une exposition sur l’art Ascii, puis le QR Code –, de test d’objets connectés, d’itération autour d’intelligences artificielles ou de robots, tout en s’ouvrant sur les jeux vidéo afin de créer des ponts entre les générations.

Il faut dire qu’il y a urgence : les services publics perdent leurs guichets traditionnels et s’orientent toujours plus vers des portails en ligne, ce qui n’est pas sans conséquence pour le quart des habitants qui ne savent pas utiliser Internet. Conscient du problème, l’ANCT (agence nationale de la cohésion des territoires) a décidé de soutenir la nouvelle structure : pendant deux ans, l’État prend en charge la rémunération d’un conseiller à temps plein, dont le rôle est d’accompagner les équipes de la CoopNum dans leur enseignement du numérique. 

Gérer les craintes

Apprendre à créer une boîte mail, à rejoindre une conversation familiale sur Messenger, à remplir ses déclarations en ligne… Autant de problématiques qui reviennent régulièrement sur la table, amenées par celles et ceux qui osent franchir les portes de la CoopNum. Oui, « osent ». « Car il y a tout un travail pédagogique à faire en amont afin de réduire l’appréhension de ceux qui ont besoin d’apprendre… Beaucoup ont honte de confesser qu’ils ne savent pas utiliser d’ordinateur », déplore Robin Pirez Viron. 

Sabine (*), mère de famille, le confirme : elle n’a toujours pas eu le courage de se rendre à la CoopNum. Pourtant elle le sait, elle a de grosses lacunes en informatique. « Je m’en suis réellement rendu compte au premier confinement, lorsque mes enfants ont dû faire l’école à la maison. Je ne savais pas répondre aux professeurs, imprimer des devoirs… Au final, c’est mes enfants qui m’ont beaucoup appris pendant cette période », évoque-t-elle, la gorge nouée. Deux ans plus tard, sa situation et ses compétences se sont légèrement améliorées, mais elle veut poursuivre son apprentissage. Elle pourra le faire gratuitement à la Coopérative numérique grâce à la Région Hauts-de-France et son Pôle emploi. 

Le Pass numérique permet d’avoir accès à des ateliers de formation.©Florian Gallant

Le Pass numérique, pour ceux qui en ont besoin

En effet, l’État vient de lancer un nouveau dispositif appelé Pass numérique, qui se matérialise par des carnets de plusieurs chèques que l’on peut échanger contre des formations à l’apprentissage du numérique. Pensez à des tickets restaurant ou des chèques vacances, mais que l’on pourrait dépenser pour participer à des ateliers et formations adaptés à son niveau et ses besoins. La Région Hauts-de-France se serait ainsi engagée à acheter auprès de l’État l’équivalent de 60 000 carnets de 10 chèques de 10 € (soit 6 millions d’euros). Ces tickets peuvent être dépensés dans des lieux agréés comme la Coopérative numérique.

« C’est une manière pour nous de nouer un premier contact avec ceux qui en ont besoin et qui n’osent pas venir. Lorsque l’on reçoit un carnet de chèques, autant le dépenser. Ils peuvent également très bien venir nous voir pour justement passer commande de leur pass. En même temps, nous leur proposerons un diagnostic gratuit pour savoir quelles sont les compétences dont ils ont besoin, et pourrons ensuite les orienter vers les bons ateliers pour dépenser leurs chèques », se réjouit le directeur de la CoopNum. Il conclut, un brin solennel : « Je suis convaincu qu’en s’émancipant numériquement, chacun est plus maître de son destin. »

*le nom a été modifié.

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Florian Gallant
Florian Gallant
Journaliste
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