Depuis 2015, près de 470 « makers » proposent gratuitement des prothèses sur-mesure à ceux qui en ont besoin. Plus de 225 familles en ont déjà profité. Rencontre avec Thierry Oquidam, président de l’association en France.
Thierry Oquidam s’en souvient comme si c’était hier. « Comme beaucoup, début 2014, j’ai eu envie d’investir dans une imprimante 3D. Mais j’avais aussi besoin d’une raison valable pour justifier cet achat. Je me suis donc renseigné et c’est là que je suis tombé sur le site anglo-saxon ‘e-nable’. Le principe était simple : n’importe quel propriétaire d’imprimante 3D pouvait être mis en relation avec une personne en situation de handicap pour lui fabriquer une prothèse sur-mesure. Ça a été un coup de cœur. Même si je n’avais encore jamais fait d’associatif, j’ai su que je voulais moi aussi participer à cette initiative. » Très vite, sa première machine chauffe et ses créations changent le quotidien d’enfants et adultes amputés. Mais toujours à l’étranger.
Une première prothèse qui fait la une des journaux
« J’ai donc commencé à en parler autour de moi et à trouver quelques personnes prêtes à m’accompagner dans la création d’une antenne associative française. » En août 2015, les bénévoles offrent ainsi leur première prothèse à un jeune Lyonnais, Maxence. Pour l’occasion, les caméras sont là et l’association fait l’ouverture des journaux télévisés : « Dès le lendemain, nous avions près de 60 familles qui nous demandaient une main ! » Heureusement, alors que l’impression 3D continue de se démocratiser, de plus en plus de bénévoles — appelés « makers » — rejoignent l’aventure et permettent de répondre à la demande.
Sept ans plus tard, ce sont ainsi 960 makers bénévoles — 470 validés et 490 non validés — qui ont livré 223 appareils. Actuellement, 60 sont en cours de réalisation. S’il est difficile d’avoir des statistiques, près de 90% de ces makers sont des particuliers, le reste des entreprises grâce à leur fablab intégré. Depuis, l’antenne française a également aidé au développement de cousines européennes, comme en Italie ou Grèce.
D’enfant handicapé à enfant augmenté, le rôle social de la prothèse
Mais comment fabrique-t-on une prothèse ? « N’importe quelle famille peut prendre contact avec nous via notre site internet. Désormais, faire une main n’est plus le plus gros défi puisque nous disposons de nombreux modèles 3D pré-réalisés, notamment avec l’aide des 15 000 bénévoles e-nable dans le monde entier. Notre job est désormais de trouver un maker géographiquement proche de la famille demandeuse et de les mettre en relation pour prendre les mesures. Certains cas sont standard, alors il suffit d’ajuster un modèle 3D existant et en moins d’un mois, la main est imprimée. D’autres sont néanmoins plus complexes et nécessitent un peu d’ingénierie. Il y a de plus en plus de ce type de demande d’ailleurs », explique le représentant. Une carte régulièrement mise à jour leur permet de voir où les bénévoles sont implantés.
Les makers restent cependant modestes : leurs outils — le mot est important — ne font qu’améliorer la vie de ceux qui profitent de leurs prothèses, ils ne la changent pas complètement. « Nos prothèses permettent seulement d’ouvrir ou de fermer une main. C’est donc bel et bien un outil, car les bénéficiaires ne s’en servent pas tout le temps mais en fonction de leurs besoins. C’est comme un marteau : c’est pratique mais je n’ai pas toujours besoin d’en avoir un sur moi », expose Thierry Oquidam, non sans humour. Il reprend : « Par contre, ce que l’on ne soupçonnait pas, c’est le rôle social de nos prothèses. Pour un enfant sans mains, c’est souvent l’occasion de passer d’enfant handicapé à enfant augmenté ! Soudain, avec une prothèse — colorée et personnalisée à la demande —, les copains et copines n’hésitent plus à entamer la discussion avec l’enfant. Ils sont presque jaloux ! »
Quel avenir pour l’association ?
Sept ans plus tard, E-Nable France a trouvé son rythme de croisière : de plus en plus de makers pour une cinquantaine de demandes de prothèse par an. « Mais cela pourrait être beaucoup plus ! Chaque année, on estime — bien que les études manquent — qu’environ 450 enfants naissent chaque année en France avec une agénésie des membres supérieurs. En sept ans, ce sont donc plus de 3 000 familles qui pourraient bénéficier de notre aide. D’autant plus que les enfants grandissent, et il faut refaire régulièrement une main adaptée à leur taille. »
Néanmoins, c’est un autre projet de taille sur lequel travaillent les membres du réseau français : E-Nable 360. « Il s’agira d’un site web qui regroupera en Open Source l’ensemble des modèles 3D amenés à améliorer la vie des personnes en situation de handicap. Une sorte de grand marché gratuit où n’importe qui pourra télécharger puis imprimer lui-même des prothèses. » Et ce peu importe le handicap ! L’association cherche en effet à accompagner plus de personnes, des personnes malvoyantes à celles ayant un handicap moteur. Date de sortie de cette plateforme ? « On n’aime pas avoir de deadline, ce n’est pas notre manière de procéder, mais on peut espérer pour 2022 », glisse le président. D’ici là, les techniques d’impression 3D auront encore évolué. « C’est le plus excitant, chaque semaine apporte son lot de nouveaux matériaux ! Toujours plus robustes, plus légers, plus doux… » Pour le plus grand bonheur de tous ceux qui ont besoin d’une nouvelle main.