C’est un univers aussi mystérieux que fascinant, qui a inspiré le petit et le grand écran. Si certaines œuvres abordent la question des troubles psychiques avec justesse, d’autres fantasment la réalité des maladies mentales. Décryptage avec le psychiatre Jean-Victor Blanc.
Donnie Darko, Shutter Island, Eternal Sunshine of the Spotless Mind… Autant de films devenus cultes qui mettent en avant des troubles psychiques. Cette thématique captive le public depuis toujours, que ce soit à travers la littérature, le cinéma ou, plus récemment, les séries. Mais, pour Jean-Victor Blanc, la schizophrénie et le trouble bipolaire ne se limitent pas au domaine de la fiction. C’est une réalité. Le psychiatre accompagne ces patients et les aide à avancer.
Grand amateur de films et de séries, il a écrit le livre Pop & psy, dans lequel il sensibilise le grand public à la psychiatrie et explique les maladies mentales avec des exemples de la pop culture. Depuis quelques années, il a constaté une véritable avancée dans la représentation de ces troubles à l’écran. « Les œuvres sont de plus en plus documentées et sont écrites, réalisées, et jouées par des personnes concernées. » Si les films et les séries véhiculent une image plus juste et positive, un cliché persévère : l’association de ces troubles à la violence. Alors, que regarder ? Où s’aventurer ? Jean-Victor Blanc a rédigé son ordonnance.
Le trouble bipolaire
Cette maladie psychique est caractérisée par l’alternance de phases d’excitation et de dépression. « Les premières sont associées à une augmentation de l’énergie, une élévation de l’humeur (les personnes sont souvent euphoriques, mais elles peuvent aussi être irritables), une multiplication des projets, une diminution du temps de sommeil… » À l’inverse, la seconde se distingue par des moments où le moral est très triste, par une difficulté à entreprendre des choses, une grande fatigue, des troubles du sommeil et de l’appétit. Que ce soit dans les films ou à travers les témoignages des célébrités (comme Mariah Carey ou Kanye West), il s’agit du trouble dont on parle le plus. « Donc c’est souvent le mieux représenté. Mais, la vraie problématique, c’est que le terme est mal utilisé dans le langage commun. » Être bipolaire, ce n’est pas simplement être lunatique ou changer souvent d’avis. C’est une vraie maladie.
Jean-Victor Blanc diffuse des films à ses patients pour les aider à reconnaître leurs symptômes et mieux vivre avec leur trouble. Il utilise notamment Mr. Jones, une production des années 1990 avec Richard Gere qui incarne un patient atteint de trouble bipolaire. « Il est très bien joué. Un peu caricatural, car le personnage va tomber amoureux de sa psychiatre et dépense beaucoup d’argent, il est très expansif, mais on voit aussi ses phases de dépression. »
L’œuvre oscarisée Happiness Therapy, avec Bradley Cooper et Jennifer Lawrence, décrit quant à elle ces phases d’excitation avec justesse. « Elle montre la difficulté pour les patients et leur entourage à s’y retrouver et à suivre ces moments. On voit aussi que la réinsertion après l’hôpital n’est pas toujours évidente. » Si le film apporte un regard réaliste sur le trouble bipolaire, Jean-Victor Blanc regrette le fait qu’il ne montre pas assez les phases de dépression, « qui sont souvent les plus douloureuses, car elles durent plus longtemps ».
Difficile de ne pas évoquer Homeland et la touchante Carrie Mathison. « L’avantage d’une série, c’est qu’elle peut se permettre d’étaler l’histoire sur plusieurs épisodes et saisons. Et ça correspond très bien à la réalité de cette maladie, qui est un trouble chronique. On peut le stabiliser, mais on ne peut pas le guérir définitivement. » Bien qu’il s’agisse d’une histoire en un seul volet, Les Intranquilles (en lice pour les César, avec Leïla Bekhti et Damien Bonnard) est « très vrai, car le réalisateur et l’acteur principal se sont vraiment renseignés sur la pathologie auprès de patients et de psys, et ça se voit à l’écran ».
Le trouble de la personnalité borderline (ou état limite)
« Ce sont des traits de personnalité qui vont engendrer une souffrance de manière continue. » Il existe plusieurs troubles de la personnalité, et celui-ci est marqué par une grande impulsivité. Il se caractérise par une forte angoisse abandonnique, un mal-être et un sentiment de vide interne assez chronique, beaucoup d’attaques de soi (consommation de toxiques, de drogues, mutilations, scarifications, passages à l’acte suicidaire…). « Le trouble borderline est très fréquent, c’est quand même plus d’un patient sur dix en service de psychiatrie. C’est plus que le trouble bipolaire, mais il est assez peu représenté à l’écran. »
Pour mieux comprendre cette maladie, le psychiatre conseille Eternal Sunshine of the Spotless Mind (aussi révélateur du phénomène du ghosting). « Ce film a l’avantage de ne pas psychiatriser le personnage, mais beaucoup de personnes atteintes d’état limite se sont reconnues dans Clémentine. On voit effectivement qu’elle a du mal à trouver la bonne distance (elle est dans le trop ou le pas assez), il y a un abus de substance (elle met quand même du whisky dans son café dès le matin) et son instabilité peut la faire souffrir, elle et son entourage. » On retrouve aussi ce trouble dans une œuvre moins connue du grand public et adaptée d’un roman : Prozac Nation, avec Christina Ricci.
Une vie volée aborde aussi cette question à travers le personnage de Susanna Kaysen (qui dit être atteinte de cette maladie), mais Jean-Victor Blanc a un avis « plus mitigé » sur ce film. « On ne reconnaît pas vraiment les symptômes, ils sont finalement très discrets. L’autrice avait un trouble borderline, mais je trouve qu’il n’est pas très bien représenté à l’écran. Il est en tout cas moins pédagogique que les autres productions. On a plus de mal à comprendre et mes patients ne s’y retrouvent pas vraiment. »
La schizophrénie
Ce trouble se caractérise par une désorganisation psychique. « Il y a une désorganisation entre ce que la personne pense, ce qu’elle ressent, et son comportement. » Elle peut par exemple ressentir une humeur joyeuse en dévoilant un visage triste, ou exprimer un comportement très gai en se sentant extrêmement triste. Elle peut aussi avoir un style vestimentaire inadapté, en s’habillant de façon très légère alors qu’il fait très froid. « Il y a une difficulté d’adaptation à l’environnement. C’est un trouble très fréquent en psychiatrie. » Jean-Victor Blanc évoque aussi des symptômes « psychotiques », qui sont des hallucinations auditives ou visuelles ou des croyances délirantes, comme la paranoïa (l’individu se sent persécuté et pense qu’on lui veut du mal). « On constate également des symptômes négatifs, ou de retrait, où la personne ressent moins d’émotions et va avoir plus de mal dans ses interactions sociales. Elle décrypte moins les codes sociaux. »
Black Swan en est un bon exemple. « Mais attention, il ne faut pas confondre : elle n’a pas deux personnalités, le cygne blanc et le noir. On voit bien ce qu’on appelle l’entrée dans la schizophrénie, où elle commence à douter. » Est-elle suivie ? Lui veut-on du mal ? Est-ce l’autre danseuse, qui veut lui piquer son rôle ? Le metteur en scène la rejette-t-il ? « Il y a toute cette part de doute avec les symptômes hallucinatoires. » Le cinéma les montre très souvent de manière visuelle, mais, chez les patients, c’est avant tout auditif. « Mais ça montre bien l’angoisse qu’ils peuvent générer (et on le voit notamment quand elle se transforme en cygne). La plupart du temps, quand les patients atteints de schizophrénie s’en prennent à eux-mêmes ou à autrui, c’est parce que ces idées délirantes sont très anxiogènes – mais ces actes de violence restent très rares. »
Donnie Darko est très souvent sollicité pour parler de ce trouble. Pour le psychiatre, le personnage est dans un stade plus avancé que celui de Natalie Portman dans Black Swan. « Il a quand même beaucoup d’idées délirantes autour de symboliques (le livre, le lapin, la vieille dame…). Et il fait le lien entre des éléments qu’on ne relierait pas forcément. Il voit des coïncidences partout, il est dans la paranoïa, et c’est propre à cette maladie. »
Et quid de Shutter Island, où Leonardo DiCaprio semble pris d’un moment de folie ? « C’est différent, car, dans Donnie Darko, on a la sensation que tout est très flou et on n’arrive pas à lier toutes les idées. Au contraire, le délire de Shutter Island est très bien construit et presque cohérent. Donc ce n’est pas de la schizophrénie, c’est ce qu’on appelle un trouble psychotique chronique. »
The Voices s’est intéressé aux hallucinations auditives et « le début du film montre bien le handicap que peut générer cette maladie ». Ryan Reynolds perçoit des éléments que personne ne parvient à entendre. « L’œuvre est drôle, bien menée et mélange un côté très pop et macabre. Mais elle est stigmatisante, car elle attribue un comportement ultraviolent à la schizophrénie. » Or, les personnes atteintes de ce trouble peuvent avoir une vie très saine. Preuve par l’exemple avec Demain et tous les autres jours, de Noémie Lvovsky, qui raconte l’histoire d’une mère essayant d’élever sa fille, ou avec le biopic Un homme d’exception.
Split, ou l’exemple d’une représentation stéréotypée
Populaire auprès de la critique et du public, Split a pourtant véhiculé de fausses représentations de ces troubles. De nombreux spectateurs sont ressortis des salles en affirmant que l’œuvre décrivait l’histoire d’un schizophrène. Pourtant, le personnage de James McAvoy est atteint du trouble dissociatif de l’identité. Plus communément appelée TDI, cette maladie est rare (elle concerne moins de 1 % de la population) et n’a rien à voir avec la schizophrénie. Elle est caractérisée par la coexistence de plusieurs personnalités (ou alters) dans une même personne (ou système), avec une discontinuité du sentiment d’identité.
Split est très cinématographique et spectaculaire, mais a une conception très fantasmée de ce trouble. « Quand bien même il y aurait plusieurs alters, il n’y a pas de monstre ou de bête qui grimpe au mur. Le film montre beaucoup de violence, mais les personnes atteintes de troubles psys sont plus souvent victimes qu’auteurs de violence. Il faut le rappeler. »
L’érotomanie
« C’est un trouble délirant chronique, comme celui dont on parlait avec Shutter Island, avec un délire bien construit. Le symptôme clé de cette maladie est la perception délirante d’être aimé. » Traduction : la personne a la conviction que l’autre est amoureux d’elle. C’est une pathologie rare, mais tellement cinématographique qu’elle est représentée dans de nombreuses œuvres.
« Young Adult montre comment le délire se construit et comment tous les éléments vont être interprétés à sa faveur. Mavis voit des éléments que ni son entourage, ni le spectateur ne perçoivent. On associe souvent ce trouble au crime, mais là, c’est une comédie qui finit bien. Par contre, si elle avait vraiment été érotomane, il n’aurait pas suffi de la rembarrer pour arrêter le délire. Mais c’est un bon moyen de comprendre cette maladie. »
Plus grand public, Obsessed « n’est pas un film incroyable, mais il est drôle, car il y a Beyoncé ». Son mari est victime d’érotomanie, et « ce qui est bien montré, c’est que tout part d’un tout petit événement mal interprété. La femme atteinte du trouble est persuadée qu’il est amoureux d’elle ». Une situation que connaît Audrey Tautou dans À la folie… pas du tout. Elle tombe amoureuse de son médecin et interprète chaque petit geste comme le signe d’un amour partagé. « Pour le coup, ce film montre la maladie d’une façon simpliste, mais très pédagogique. »
Dès sa sortie sur Netflix, You a séduit de nombreux spectateurs, fascinés par l’histoire du tueur en série. Mais, pour le psychiatre, l’intrigue ne tient pas la route. « Au début, on se dit que ça fonctionne. Mais, après, il inclut d’autres personnes dans son délire, elle finit par tomber amoureuse de lui… Et on en revient toujours à cette violence liée à la maladie. Je trouve que cette série est moins réaliste que d’autres. »
Exit les « mon copain est bipolaire, il change tout le temps d’humeur » et les amalgames entre folie, violence et troubles psychiques. Cette prescription est le meilleur remède contre la stigmatisation des problèmes de santé mentale. Cette thématique est fascinante, mais elle l’est d’autant plus quand elle est bien traitée : une représentation juste des troubles psychologiques nous aide à comprendre ceux qui nous entourent et permet à ceux qui en souffrent de s’y reconnaitre, et de mieux s’accepter.