Critique

Les Jeunes Amants : drame romantique à la croisée des âges

03 février 2022
Par Milo Penicaut
Les Jeunes Amants : drame romantique à la croisée des âges
©Ex Nihilo Kare

Carine Tardieu décrit l’amour (im)possible entre un homme marié et une femme plus âgée que lui. Une histoire sans grand intérêt, pourtant portée par des monuments du cinéma français.

Lyon, 2006. Shauna (Fanny Ardant) et Pierre (Melvil Poupaud) se rencontrent dans les couloirs d’un hôpital : Shauna veille une amie malade dont Pierre est le médecin – ils partagent alors une soupe dans la cafétéria blafarde. Quinze ans plus tard, leurs destins se recroisent : Shauna a alors 70 ans, Pierre 45 et une vie de famille. Malgré les vingt-cinq ans qui les séparent, ils tombent – bien trop -lentement sous le charme l’un de l’autre et deviennent amants, avant d’être rattrapés par les insécurités de Shauna et le mariage de Pierre. Une passion qui manque cruellement d’intensité et qui laisse place à l’ennui, passé la résolution du will they/won’t they.

« Mais qu’est-ce que tu peux bien trouver à une femme de 70 ans ? »

« Tu vas pas foutre ta vie en l’air pour une femme qui n’a pas d’avenir ! » lâche Shauna à Pierre, qui n’a pourtant que faire des conventions sociales. Comprendre : les femmes de 70 ans ont atteint leur date de péremption – quelle idée que de vouloir les désirer et les aimer ! Mais le film échoue maladroitement à renverser ce stéréotype. Car le véritable obstacle à cet amour naissant, ce n’est pas le mariage de Pierre mais l’âgisme intériorisé de Shauna, qui se perçoit à l’image de ce que la société lui renvoie : invisible, périmée, indigne d’être aimée. D’autant plus que Shauna est atteinte de la maladie de Parkinson. On retombe alors bien vite dans le cliché des personnes âgées malades, dépendantes, dépérissantes ; il faut pourtant rappeler que si la moitié des seniors représentés à l’écran vit en institution spécialisée, ce n’est en réalité le cas que pour 5,7% d’entre eux.

Carine Tardieu échoue ainsi à faire de Shauna un personnage acteur de son propre destin, un sujet désirant, puissant, actif. On aurait pourtant adoré voir une Fanny Ardant dynamique, jouissant de la vie, de cette période bénie qu’est la retraite, multipliant les conquêtes, se prendre d’amour pour un homme bien plus jeune, lui montrer que son corps à elle aussi est beau, traitant avec légèreté ses insécurités de femme âgée – à l’image de la relation entre Grace (sublime Jane Fonda) et Nick (Peter Gallhager), de 25 ans son cadet, dans l’hilarante série Netflix Grace & Frankie.

©Ex Nihilo Kare

Une longue histoire d’âgisme au cinéma

Dans une société profondément âgiste et sexiste, il n’est pas surprenant que les relations entre des femmes âgées et leurs compagnons plus jeunes soient aussi subversives. On pense par exemple au traitement médiatique réservé à Brigitte Macron. Lorsqu’il s’agit de l’inverse – un homme âgé avec une femme plus jeune, comme les époux Trump – cela ne semble en revanche poser de problème à personne. Il semble donc que ce qui choque, ce qui dérange, c’est de voir des femmes âgées puissantes, épanouies, jouissantes – des femmes visibles. Et c’est précisément en écrivant, en filmant, en montrant ces histoires-là que l’on peut espérer bousculer le regard discriminant que notre société porte – que nous portons – sur nos aînées. En racontant des histoires pleines de joie, de vie, d’aventures, de créativité. On préfère les histoires comme celle de Grace et Frankie qui créent leur entreprise de sièges de toilettes pour seniors ou inventent un vibromasseur ergonomique pour les personnes souffrant d’arthrose plutôt que s’apitoyer sur une Shauna incapable de sortir seule de sa baignoire – scène douloureuse d’impuissance. On voudrait aussi des histoires de femmes âgées qui ne se cantonnent pas aux populations blanches et aisées. Surtout des histoires drôles, des histoires joyeuses, où l’on rit plutôt que de mourir d’ennui.

Les Jeunes Amants, de Carine Tardieu, 1h52. En salles le 02/02/2022.

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Milo Penicaut
Milo Penicaut
Journaliste
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