Critique

Red Rocket : décollage réussi

02 février 2022
Par Lisa Muratore
Simon Rex incarne Mikey Saber dans le film Red Rocket.
Simon Rex incarne Mikey Saber dans le film Red Rocket. ©Drew Daniels/2021 Red Rocket Productions, LLC

Avec Red Rocket, Sean Baker offre une fresque sur la mort du rêve américain en filmant le parcours semé d’embûches d’une ex-star du porno. Un récit brûlant d’émotion et d’humour porté par Simon Rex.

Dès les premières secondes de Red Rocket, le ton est donné. Le film prenant pour trame de fond le destin d’un acteur X ne sera pourtant pas une énième adaptation sur l’univers du porno, alors que la chanson du célèbre boys band NSYNC, Bye Bye Bye, résonne à tue-tête et que l’on découvre le visage tuméfié de Mikey.

De retour dans sa ville natale du Texas, cette star déchue de films pour adultes vient supplier son ex-femme et sa belle-mère de l’accueillir quelques jours. Il n’est pas vraiment le bienvenu, mais promet en échange de les aider à payer le loyer. Pour cela, il va retomber dans de vielles combines et vendre de la drogue. Mais ce retour au bercail va également lui permettre de rencontrer Strawberry, en qui il voit la prochaine vedette de la pornographie – et surtout une chance pour lui de se payer un ticket retour pour la Californie.

L’univers du porno vu par Sean Baker

À travers l’ambivalence de ce personnage principal auquel Simon Rex prête ses traits, Sean Baker filme le destin d’un parasite d’un genre particulier : ceux que l’on appelle les « proxénètes de plateau ». Dans le milieu du X, ce sont en effet souvent des maris ou des petits-amis sans emploi qui exploitent leurs compagnes pour en faire des stars du porno.

Si ce spécimen a déjà été éclairé par la caméra de Bob Fosse dans Star 80 (1983), l’approche de Red Rocket reste inédite dans la mesure où le réalisateur insuffle de l’humour et de l’émotion à un sujet pour le moins difficile. C’est d’ailleurs sûrement cette prise de risque qui lui a valu les Prix du Jury et de la Critique Internationale au Festival du cinéma américain de Deauville, après une nomination pour la Palme d’Or au Festival de Cannes, en 2021.

Red Rocket dépasse en effet la tragédie moralisatrice pour devenir une comédie noire sur les excès de chacun : le sexe, la drogue et l’obsession de la célébrité sont des vices qui gangrènent les personnages autant qu’ils les aident à survivre. Cette dualité fonde leur force et c’est là que l’on retrouve le charme de la filmographie de Sean Baker, après The Florida Project (2017) ou Tangerine (2015).

Dans Red Rocket, Mikey est contraint de retourner vivre chez son ex-femme, Lexi, interprétée par Bree Elrod.©Drew Daniels/2021 Red Rocket Productions, LLC

Des personnages nuancés

Le travail de caractérisation, dont le premier pilier est Simon Rex, est particulièrement percutant. L’acteur américain connu pour son rôle dans la saga Scary Movie et ses vidéos sur Vine s’essaye ici à un registre atypique. Comme la personnification d’un teen-movie qui a mal vieilli, le comédien se glisse avec conviction dans la peau de cet homme-enfant qui tente de s’en sortir par tous les moyens. Si cette lutte le rend dans un premier temps très attachant, plus ses ambitions surgissent plus il se révèle antipathique : Mikey ne se soucie pas des conséquences de son comportement sur son entourage. Il vit au crochet des autres, sans se soucier de l’avenir. Et si cela révèle une certaine névrose, ce sont bien les autres qui font les frais de la manipulation de ce survivor des temps modernes.

Mais Sean Baker applique les mêmes procédés à l’ensemble de sa distribution, jusqu’à ce que chaque personnage dévoile à son tour ses pires défauts. Si Lexi, l’ex-femme de Mikey, et sa mère, tentent de joindre les deux bouts, elles passeront également pour des profiteuses rongées par la drogue. Strawberry, malgré une certaine naïveté, dévoilera un aspect égoïste de sa personnalité, en manipulant Mikey afin de commencer une nouvelle vie après le lycée. Quant à Lonnie, le voisin de Mikey, il n’hésitera pas à mentir sur son passé dans l’armée afin de récolter quelques dollars.

Strawberry incarnée par Suzanna Son dans Red Rocket face à Simon Rex.©Drew Daniels/2021 Red Rocket Productions, LLC

La chute du rêve Américain

Red Rocket joue donc sur la dualité assumée de ses personnages, afin de construire une fresque sur l’American dream. C’est d’ailleurs à travers cette thématique que se joue le drame principal du film. Le choix du Texas comme décor n’est ainsi pas anodin : cet État est un microcosme symbolique qui reflète la culture américaine dans ce qu’elle a de plus obscène. La ville de Texas City sera ainsi le berceau de ce fantasme de la réussite sur la côte Ouest, dont rêvent « les ploucs » et plus particulièrement Mikey. Ce dernier représente une figure typique de l’Amérique entre optimisme grinçant et escroc invétéré, alors que le long-métrage aborde aussi les fatidiques élections présidentielles de 2016 qui ont vu Donald Trump accéder à la Maison Blanche.

Situer l’action en plein cœur du Texas permet aussi à Red Rocket de s’entourer d’une atmosphère particulière, transpirante et baignée de couleurs chaudes – ce qui fait bien évidemment référence à sa thématique première, tout comme les apparitions multiples de cette fusée rouge, et phallique, dans la mise en scène.

Malgré quelques longueurs, Red Rocket réussit indéniablement son décollage. Tout en faisant le bilan d’un rêve américain poisseux, dans lequel le porno est symbole de réussite, Sean Baker est parvenu à offrir une histoire aussi touchante qu’amusante. Porté par un Simon Rex bouillonnant et une troupe de comédiens bourrée de nuances, le film met en lumière le destin de ces survivants de façon inédite.

Red Rocket de Sean Baker, avec Simon Rex, Bree Elrod, Suzanna Son et Brenda Deiss, 2h08. En salles le 2 février 2022.

Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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