Le secteur du numérique représente 2,5 % de l’empreinte carbone totale de la France, soit un peu plus que l’équivalent du secteur des déchets (2%). Dans une société de plus en plus « numérique », ces chiffres sont voués à flamber, selon une récente étude menée par l’Ademe et l’Arcep.
L’Ademe (Agence de la transition écologique) et l’Arcep (régulateur des télécoms dans l’Hexagone), ont récemment publié une étude chiffrant le bilan écologique du numérique en France, avant de rendre public, au printemps prochain, une analyse prospective des impacts du numérique à l’horizon 2030 et 2050. Le poids du numérique dans la pollution est déjà inquiétant, alors que cette industrie et notre boulimie digitale s’emballent à un rythme toujours soutenu. En 2010, le numérique comptait pour 2 % de la production mondiale de gaz à effet de serre (GES). Dix ans plus tard, le chiffre grimpait à 3,2 %, et devrait atteindre 5,8 % en 2025.
Selon le rapport, il n’y a aucun autre secteur où l’empreinte carbone augmente aussi rapidement. Surprise ? Pas vraiment. Si le numérique compte aujourd’hui pour 2,5 % de l’empreinte carbone de la France (entre 2 et 4 % au niveau mondial, deux fois plus que le transport aérien civil), soit l’équivalent de 15 millions de tonnes de CO2, cette pollution, souvent qualifiée d’invisible, doublera d’ici à 2035. « La pollution numérique provient pour les trois quarts de la fabrication de terminaux tels que les téléviseurs, les ordinateurs portables, les smartphones, les box Internet, les écrans et les consoles de jeux. Viennent ensuite les data centers, les systèmes d’exploitation, la 5G, les bitcoins, les services… L’autre quart est lié à l’utilisation de ces appareils, qui consomment 10 % de l’électricité mondiale », précise Guillaume Pitron, auteur de L’Enfer numérique, voyage au bout d’un like.
Smartphones, PC, et autres terminaux en première ligne
L’usage de certains produits électroniques a un rôle dans la pollution. Les appareils électroniques grand public sont en effet les premiers responsables de cette pollution et, selon l’étude, un foyer français possède en moyenne 15 appareils connectés – soit l’exploitation d’environ 930 kg de matériaux bruts pour les produire. Pas moins de 20 millions de tonnes de déchets d’appareils (téléphones, tablettes, ordinateurs…) sont générés chaque année dans l’Hexagone. Pour reprendre l’exemple du journaliste spécialiste de la question Jean-Christophe Batteria : « Un smartphone qui contient une cinquantaine de métaux nécessite l’extraction de 82 kilogrammes de matières premières, soit 500 fois son poids. » Parmi elles, des métaux rares comme le gallium ou le tantale.
Selon le cabinet ABI Search, 720 millions de téléphones portables sont jetés chaque année dans le monde, soit 60 % des 1,2 milliard d’unités vendues. Or, 50 000 téléphones portables permettent de recycler 1 kg d’or et 10 kg d’argent, qui pourraient être réutilisés. D’après l’Ademe toujours, 88 % des Français changent leur smartphone alors même qu’il fonctionne encore. Même si 76 % des téléphones portables jetés en France chaque année sont recyclés, nombreux sont les terminaux à dormir au fond d’un tiroir. Le business du reconditionné, qui garantit des prix attractifs et des appareils révisés, fonctionnels et garantis, attire de plus en plus d’adeptes. Mais, si la part de vente de smartphones reconditionnés, dits de seconde main, progresse, elle ne représente encore que 10 ou 15 % des ventes de mobiles.
Montrés du doigt par les études environnementales, les data centers sont très énergivores (le top 3 revenant à Facebook, Google et China Telecom), consommant chacun l’équivalent d’une ville de 50 000 habitants. Il y en a plus de 4 000 dans le monde, dont « seulement » 140 en France. Ces gros centres hébergeant des rangées de serveurs informatiques stockant nos données sont responsables de 4 à 15 % des impacts du numérique français, selon une étude de Green IT. Et ils nécessitent de grandes quantités de matières premières polluantes pour leur fabrication. Même si les ordinateurs quantiques génèrent bien plus de datas que tout autre ordinateur, ils polluent moins qu’un data center.
4,54 milliards d’individus peuvent accéder à Internet
Plus de la moitié de la population mondiale ayant accès à Internet (5,5 milliards estimés en 2025), l’empreinte carbone est massive. 60 % du trafic Internet mondial est capté par les vidéos en streaming. En France, « les émissions de gaz à effet de serre des services de vidéo à la demande, de type Netflix ou Youtube totalisent 0,3 % de l’empreinte écologique des contenus audiovisuels », souligne Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep. Et si l’on regarde une vidéo en 4G ou en 5G, on consomme 23 fois plus d’électricité qu’en passant par le wifi. Viennent ensuite les recherches web, avec 13 % du trafic (une année de recherche sur Internet équivaut à la consommation d’électricité de la Norvège soit 120 Twh), puis les jeux vidéo (8 %) et les réseaux sociaux (6 %).
Mais le record de l’empreinte carbone revient encore et toujours aux emails. Chaque année, dix milliards de mails sont envoyés chaque heure dans le monde et chacun de ces mails, souvent chargé d’une ou plusieurs pièces jointes, doit parcourir 15 000 kilomètres pour atteindre son destinataire. Soit la production d’électricité par heure de… 15 centrales nucléaires ! Or 60 % d’entre eux ne seraient pas ouverts.
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L’IA et le deeplearning
Selon des scientifiques de l’Université du Massachusetts, entraîner un modèle de deeplearning pendant quatre à sept jours pour le traitement automatique du langage naturel (NLP) émet autant de CO2 qu’un être humain pendant 57 ans, ou que cinq voitures pendant leur durée de vie. Reconnaissance vocale, interprétation de textes complexes, traduction de documents… autant de tâches demandées, par exemple à Google Assistant, qui nécessitent une énorme quantité d’énergie. « Il faut entraîner en profondeur les algorithmes à partir d’une grande masse de données, des centaines voire des milliers de fois, pendant des semaines ou des mois, via des ordinateurs surpuissants, détaillent les chercheurs. Pour faire circuler et stocker cette masse de données, il faut aussi des milliers de centres de calcul et de fermes de serveurs qui tournent à plein régime. » Selon eux, alors qu’un voyage en avion de New York à San Francisco pour une personne consomme l’équivalent d’une tonne de CO2, certains modèles d’entraînement d’algorithmes ont généré en quelques jours entre 39 et 314 tonnes d’équivalent CO2.
La réalité virtuelle et le monde des metaverses demandera une puissance informatique mille fois supérieure à celle d’aujourd’hui.
Raja KoduriIntel
La réalité virtuelle serait toute aussi polluante. Selon Raja Koduri, un dirigeant du géant américain Intel, « la réalité virtuelle et le monde des metaverses demandera une puissance informatique mille fois supérieure à celle d’aujourd’hui. Ces nouveaux usages pourraient faire grimper le poids du numérique dans les émissions totales de carbone à près de 10 % d’ici 20 ou 30 ans ».
Le succès des cryptomonnaies en question
En 2021, le bitcoin a consommé 143 Twh, soit plus que les dépenses d’énergie des Émirats arabes unis (120 Twh). Les cryptomonnaies sont produites par « minage » : un processus qui nécessite l’utilisation de plusieurs machines puissantes pour valider un ensemble de transactions de données. Un processus parmi les plus énergivores du numérique. D’autant que l’électricité produite pour alimenter les bitcoins provient en majeure partie de la combustion du charbon – responsable à elle seule de 40 % des GES. Le data analyste néerlandais Alex de Vries, spécialiste de la question, évoque aussi l’impact des déchets : « Avec un bitcoin entre 35 000 et 45 000 euros, la cryptomonnaie génère annuellement 30 700 tonnes de déchets électroniques. » Critiqué pour sa forte consommation énergétique, Ethereum, l’autre reine des crypto avec le Bitcoin, a annoncé il y a quelques mois travailler au développement d’un processus de validation moins énergivore de sa monnaie. Plusieurs cryptomonnaies disent aussi avoir recours à des mécanismes de consensus moins gourmands en énergie.
L’empreinte carbone du numérique s’accélère au rythme du développement des blockchains, de l’IA, des objets connectés, de la fibre, de la 5G, de la vidéo et de la multiplication de nos écrans. En France, comme ailleurs, les principaux responsables des grandes entreprises pensent à une transformation numérique plus verte, plus sobre. Mais, au-delà des bons sentiments, dont beaucoup naissent avec les réglementations, pourra-t-on véritablement limiter la pollution d’une industrie en croissance exponentielle que rien ne semble freiner ? La transition écologique ne peut, pourtant, s’envisager sans un retour à une certaine sobriété numérique durable.