[Rentrée littéraire] Le roman graphique de Klou est tout à la fois : témoignage sincère – et drôle ! -, plaidoyer pour la légalisation du travail du sexe, et texte aussi renseigné que pédagogique sur ce dernier.
Bagarre érotique est un document précieux, le témoignage et la réflexion d’une personne concernée sur le « travail du sexe ». Klou revient ainsi sur ses débuts, sa « culpabilité de ne pas en avoir », mais aussi sur ce qu’elle ressent après ses premières « passes », la réaction de ses proches à son nouveau métier et la façon dont elle gère ses propres relations amoureuses et intimes.
Bagarre érotique : un témoignage engagé
Mais Bagarre érotique est loin de s’en tenir au seul témoignage. Le roman devient en effet véritable plaidoyer – dont il faut saluer la solidité argumentative et l’érudition – quand il s’agit de défendre la légalisation du travail du sexe. Se plaçant dans la lignée du féminisme dit « pro-sexe » contre le mouvement abolitionniste, Klou passe en revue les raisons de dépénaliser cette activité. Si elle a bien conscience que certaines femmes sont exploitées contre leur gré, l’autrice tient à montrer, par son propre exemple, qu’elles ne sont pas les seules représentantes du travail du sexe – la nécessité de gagner sa vie et le désir de plaire aux hommes que le patriarcat implante dans les esprits suffisent à faire choisir ce travail parmi d’autres.
J’avais besoin de savoir que j’avais de la valeur. Et il n’y a rien de plus tacite que la valeur de l’argent pour une meuf précaire.
KlouBagarre érotique
Bien sûr, la question du sexisme est intimement liée au travail du sexe : alors que sont les femmes, les personnes transgenres et les hommes gays qui se prostituent, les consommateurs sont très majoritairement des hommes cisgenres. Mais c’est la question de la consommation plutôt que celle de l’exploitation que soulève Klou : pourquoi les autres ne consomment-ils pas ? Selon l’autrice, les femmes, personnes transgenres et hommes gays sont trop éduqués à vivre leurs désirs dans une forme de honte pour qu’il leur paraisse envisageable de payer pour les assouvir.
Un travail comme un autre
La démonstration de Klou vise aussi à montrer les – très nombreux – points communs entre les divers emplois, salariés ou non, et le travail du sexe. Elle refuse fermement l’idée selon laquelle, quand les travailleuses sont consentantes, la prostitution se réduirait à un « viol tarifé » :
Certes je ne coucherais pas avec ces hommes gratuitement, mais je ne suis pas sûre que toi sans argent tu irais travailler tous les matins. Mais pour de l’argent tu y consens.
KlouBagarre érotique
Tous les emplois relèvent de la contrainte capitaliste, et si certains acceptent, pour gagner leur vie, de passer cinq jours par semaine à faire de la comptabilité dans un bureau, derrière un ordinateur, cette solution était inacceptable pour Klou. Dans les limites d’un monde dans lequel il faut vendre, d’une façon ou d’une autre, son temps, elle se définit ainsi comme une « femme heureuse d’être [son] propre patron, tout en possédant un salaire à l’heure défiant toute concurrence ». Elle n’est pas particulièrement attachée à son travail, mais il constitue un choix qu’elle continue de renouveler, refusant de passer ses journées à s’ennuyer « avec un patron sur le dos ».