Entretien

Aure Atika pour Belphégor : “L’immensité du Louvre m’a écrasée”

09 décembre 2025
Par Agathe Renac
“Belphégor”, le 11 décembre 2025 sur HBO.
“Belphégor”, le 11 décembre 2025 sur HBO. ©HBO

Portées par un mythe qui traverse les siècles, Shirine Boutella et Aure Atika nous racontent comment elles ont construit leurs personnages loin de toute référence, pour un Belphégor inédit, tendu et profondément psychologique.

Comment avez-vous accueilli l’idée de revisiter Belphégor, un mythe déjà largement exploré en littérature comme à l’écran ?

Shirine Boutella : Pour être honnête, je n’avais pas du tout regardé ce qui avait été fait avant. Quand j’ai rencontré le réalisateur et la productrice, c’est la première question que j’ai posée : cette série est-elle un remake ? Et on m’a tout de suite expliqué que Belphégor n’en conservait que l’essence, mais que l’histoire, les personnages et le ton étaient totalement nouveaux. On est vraiment dans un thriller psychologique, pas dans un récit de fantômes. J’ai alors construit Hafza sans références, sans comparaison et, honnêtement, c’est plus confortable. Tu n’as pas la pression d’être “aussi bien que” ou “mieux que”.

Aure Atika : Moi, j’étais partagée entre l’enthousiasme et l’appréhension. Revenir sur un mythe, c’est toujours risqué : on sait que ça peut diviser, qu’on sera…

S. B. : Qu’on sera clairement attendus au tournant !

A. A. : Oui, tu es forcément attendu au tournant, tu sais qu’on va dénigrer le projet… Mais en même temps, j’étais très curieuse de ce nouveau Belphégor. Quand j’ai lu le scénario, j’ai compris que cette œuvre serait totalement différente des autres. Ça m’a rassurée et plutôt excitée. Après avoir accepté, j’ai fait des recherches : j’ai retrouvé le premier épisode de la série culte avec Juliette Gréco. Tout le monde m’avait raconté à quel point, à l’époque, ça avait terrifié la France entière. Et en le voyant aujourd’hui, j’ai été frappée par ce rythme très lent, ce noir et blanc… Mais je n’ai clairement pas été effrayée. En même temps, le cinéma a tellement évolué ces dernières décennies.

Aviez-vous, néanmoins, ces références en tête pour construire vos personnages ?

S. B. : Je ne me suis absolument pas inspirée des précédentes versions. Mon vrai point d’ancrage, c’était le réalisateur, Jérémy Mainguy. Le défi, dans ce scénario, c’est la tension psychologique permanente : il fallait éviter la monotonie, faire monter la folie de manière progressive tout en restant crédible. J’ai beaucoup travaillé avec Jérémy et les auteurs, afin de situer l’émotion de mon personnage dans chaque scène, d’autant qu’on tournait toutes ces séquences dans le désordre. Il me rappelait toujours où j’en étais, ce qui était trop, pas assez, où on en était dans les relations avec les autres personnages à ce moment de l’intrigue, etc. On a tout construit à partir de rien.

Shirine Boutella dans Belphégor.

A. A. : J’avais aussi cette volonté de m’éloigner de ce qui avait été fait avant. J’ai plutôt enquêté sur des figures réelles, comme Laurence des Cars, qui dirige le Louvre – et qui est un peu prise à partie en ce moment… J’ai lu plusieurs interviews d’elle pour comprendre ce que représente une telle responsabilité. Quand tu arrives à un poste pareil, tu joues ta carrière à chaque instant et la disparition d’un masque peut tout remettre en question. J’ai aussi travaillé cette relation avec le personnage de Vincent [Elbaz, ndlr]. Ce tournage nous a permis de collaborer à nouveau, longtemps après La vérité si je mens !, et on a très vite retrouvé notre complicité.

S. B. : Elle crève l’écran ! Et on voit déjà les commentaires des spectateurs, qui sont trop heureux de vous revoir ensemble, dans une série.

A. A. : Quand j’ai retrouvé Vincent durant les essais caméra, j’ai ressenti une vraie émotion. J’étais très émue, en fait.

S. B. : C’est marrant de vous voir dans ce registre-là. Il y a un vrai passé entre vos personnages, et en plus, le mec a une trajectoire plutôt particulière ; on se dit : “Mon pote, tu deviens complètement barjot, là”. [Rires]

Vincent Elbaz et Aure Atika dans Belphégor.©HBO

Le Louvre devient presque un personnage à part entière dans la série. Qu’est-ce que cela change, pour un acteur, de jouer dans un lieu aussi chargé d’histoire, de symboles et de silence ?

A. A. : Les nuits qu’on a tournées au Louvre étaient magnifiques. J’étais comme une gamine. Le musée privatisé, le silence, les salles éclairées différemment… Traverser la galerie des sculptures pour rejoindre la Mésopotamie, c’était merveilleux. On sent la force de l’art d’une manière très particulière. Le lieu devient un personnage en soi, et on se sent tout petit face à ces œuvres.

S. B. : Ce qui m’a le plus marquée, c’est le silence. Il amplifie tout : l’immensité, la solennité. Tu te sens privilégiée d’être là, seule, entourée d’œuvres qui ont traversé les siècles.

Avez-vous trouvé des safe place pour faire redescendre la pression entre les scènes, dans un lieu si imposant ?

S. B. : On a tourné que deux nuits, mais j’ai quand même trouvé un endroit pour souffler un peu : un petit recoin isolé dans la section mésopotamienne, avec une œuvre au centre. J’ai demandé une chaise longue et c’était parfait : calme total, ambiance apaisante, presque méditative. Cette immensité apporte un sentiment de plénitude.

A. A. : Pour le coup, cette immensité m’a écrasée, au début. La première scène que j’ai faite dans le Louvre m’a impressionnée.

S. B. : D’autant plus qu’on n’avait pas le temps : tout était réglé au millimètre, chaque minute comptait. Tu n’as pas vraiment l’occasion de te poser, sauf quand tu ne joues pas dans la scène qui est en train d’être tournée.

Shirine Boutella dans Belphégor.©HBO

Belphégor interroge aussi l’idée qu’une œuvre d’art puisse être “habitée”, voire dangereuse. Pensez-vous qu’un tableau, une sculpture ou même un film puisse réellement nous influencer, nous posséder, ou nous transformer en profondeur ?

S. B. : Une œuvre porte toujours une histoire. Je n’ai pas une grande culture picturale, mais Le radeau de la méduse m’avait particulièrement marquée. Elle a été saluée pour sa précision et son réalisme, mais c’est aussi une peinture très engagée. Toute forme d’art – la musique, le cinéma, la littérature… – porte des messages, des histoires et des émotions fortes. J’imagine qu’elle peut clairement changer des vies.

A. A. : Certains films m’ont permis de trouver ma place dans le monde, à des moments de ma vie. Par exemple, quand j’avais 17 ans, Faster, Pussycat! Kill! Kill! de Russ Meyer m’a permis de me réconcilier avec ma féminité et m’a aidée à me positionner par rapport aux autres, notamment aux hommes. Je suis aussi très sensible à la peinture à l’huile ; ça me réconcilie avec le monde. Il y a quelque chose d’apaisant, de fort et de lumineux là-dedans. Je suis toujours étonnée de la modernité des œuvres des siècles passés. On réalise que tout existait déjà avant nous, qu’on n’a rien inventé.

Belphégor, une série en quatre épisodes diffusée dès le 11 décembre 2025 sur HBO Max.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste