Décryptage

Mais pourquoi les héroïnes de manga se réincarnent-elles TOUTES en méchantes ?

12 décembre 2025
Par Samuel Leveque
“I’ll Become a Villainess Who Goes Down in History”
“I’ll Become a Villainess Who Goes Down in History” ©Izumi Okido/Jun Hayase / Kadokawa

Le genre Villainess explose : de plus en plus d’héroïnes de mangas et webtoons se réincarnent en méchantes. Cependant, ce trope cache un phénomène bien plus profond.

Connaissez-vous le phénomène des récits de type akuyaku reijou ? Désignant littéralement des « méchantes jeunes filles » et parfois appelés « villainess manga », ces récits apparus il y a une dizaine d’années mettent en scène des héroïnes qui, après leur mort, se réincarnent dans la peau de la vilaine d’une œuvre de fiction. Antagoniste de leur jeu vidéo préféré, cruelle princesse de leur roman à l’eau de rose favori ou encore petite peste d’une fanfiction populaire, ces jeunes héroïnes se retrouvent souvent obligées de revivre une histoire bien connue dans la peau du personnage le plus détesté, au destin généralement funeste.

Un point de vue inversé sur les stéréotypes

À l’image du manga phénomène The Villainess and the Demon Knight (en librairie le 12 décembre), ces récits proposent un point de vue inversé sur les histoires de fantasy classiques. Loin de s’attarder sur les clichés de la vie d’une héroïne de romantasy, elles prennent le parti de montrer le vécu, mais aussi les drames parfois cruels qui conduisent certains personnages à devenir leur adversaire. On y découvre leurs motivations, mais aussi leurs contraintes propres, leurs romances, et leur point de vue particulier sur les crises que traverse leur univers.

The Villainess and the Demon Knight

La plupart de ces récits partagent d’ailleurs un point commun : leur héroïne, consciente qu’un sort cruel l’attend si elle ne bouleverse pas le cours des événements, cherche à modifier son destin. Cela donne lieu à des intrigues originales où elle tente, par exemple, de s’extraire complètement du cadre traditionnel propre à ce type d’histoires.

Certaines, comme Irène – l’héroïne de Si je suis la Vilaine, autant mater le boss final –, abandonnent l’intrigue principale pour aller vivre des aventures insolites en dehors du récit. Cette dernière choisit ainsi de tirer parti de son rôle de méchante désignée pour séduire le roi des démons et le neutraliser avant même qu’il n’ait l’occasion de mettre à exécution ses plans machiavéliques.

Dans l’anime I’ll Become a Villainess That Will Go Down in History, Alicia fait partie des rares héroïnes à choisir de jouer pleinement son rôle : elle décide d’être aussi méchante que possible, bien au-delà de ce qui est attendu d’elle. Quitte, pour cela, à briser les règles du récit tel qu’il aurait normalement dû se dérouler si elle s’était contentée de suivre le script.

Des héroïnes souvent puissantes et futées

Le point commun de toutes ces héroïnes est que leur univers semble se dresser contre elles, cherchant, par tous les moyens – plus ou moins puissants – à les maintenir dans leur rôle de « méchante ». Elles ne peuvent pas simplement choisir de faire le bien pour changer leur destin : elles doivent faire preuve d’une inventivité et d’une imagination remarquables pour atteindre leurs objectifs. Pas simple, quand on doit soudainement adopter la vertu dans un monde qui vous a assignée, dès la naissance, au rôle de la petite peste.

My Next Life as a Villainess: All Routes Lead to Doom!

Et c’est précisément ce à quoi s’attelle Katarina, l’héroïne d’Otome Game, qui élabore des plans ingénieux et méthodiques pour éviter à tout prix de faire le mal, malgré un destin qui semble la pousser inexorablement dans cette direction. Les récits akuyaku reijou présentent ainsi des personnages féminins généralement assez forts, échappant aux conventions sociales et qui se piquent même parfois de propos très progressistes. Dans le manga I’m in Love with the Villainess, la méchante et l’héroïne s’affranchissent par exemple de leur destin et forment un couple extrêmement soudé.

Un excellent terrain pour de la comédie pure et dure

Outre la force morale – et parfois physique – de ces héroïnes, qui a contribué à renouveler la fantasy japonaise, ce type d’histoires constitue également un formidable terrain d’expérimentation comique. En effet, beaucoup de ces récits se déroulent dans des univers très codifiés, parfois stéréotypés : pseudo XVIIIᵉ siècle européen, écoles de magie, cours princières truffées de complots… Autant de cadres que les mangakas s’amusent à détourner et à parodier avec inventivité.

Si Otome Game avait déjà surpris avec son héroïne loufoque, d’autres mangas et anime du genre ont depuis repoussé les limites, à l’image du récent The Dark History of the Reincarnated Villainess. Dans ce récit, une jeune femme se réincarne dans une fanfiction qu’elle avait écrite à l’adolescence, pour finalement découvrir à quel point tout y est mal ficelé, cliché et caricatural. Une manière tendre et amusée de revisiter ces premières tentatives d’écriture dont nous avons tous, à un moment ou à un autre, eu un peu honte.

Plus surprenant encore, From Bureaucrat to Villainess met en scène un homme d’âge mûr réincarné en méchante dans le jeu vidéo préféré de sa fille, renversant tous les clichés du genre pour les tourner en ridicule – tout en livrant, au final, une histoire de solidarité familiale touchante. Quoi qu’il en soit, les akuyaku reijou restent un filon loin d’être épuisé, offrant un formidable moyen de bousculer les codes parfois un peu ronronnants de la fantasy romantique japonaise, tout en donnant vie à des personnages féminins forts et originaux.

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