Décryptage

Mais pourquoi les séries sont-elles obsédées par l’industrie du porno ?

11 novembre 2025
Par Samuel Leveque
“Mrs Playmen”, le 12 novembre 2025 sur Netflix.
“Mrs Playmen”, le 12 novembre 2025 sur Netflix. ©Netflix

Mrs Playmen, The Deuce, The Naked Director… Depuis une vingtaine d’années, les productions traitant de l’industrie du sexe se multiplient.

Inspirée d’une histoire vraie, la série Mrs Playmen, diffusée le 12 novembre sur Netflix, met en scène l’ascension d’Adelina Tattilo, célèbre éditrice d’un magazine érotique dans l’Italie catholique et conservatrice des années 1960. Cette superproduction signée Mario Ruggeri (Blanca, Devils) est loin d’être la première du genre. Depuis une vingtaine d’années, de très nombreux feuilletons se sont intéressés à l’industrie de l’érotisme et de la pornographie. Un phénomène étonnant, qui ne doit néanmoins rien au hasard. Car, si l’adage veut que le sexe soit un thème vendeur, c’est aussi un reflet de la société – et un passionnant sujet historique.

Un sujet tabou, mais qui intéresse tout le monde

Le travail du sexe est un sujet récurrent dans nombre de séries grand public : on ne compte plus les rôles de prostituées, d’escort ou de star du X dans les polars, les thrillers ou les sitcoms. Ce type de professions, qui évoluent dans un milieu souvent tabou, attirent massivement les téléspectateurs pour leur côté sulfureux. Pas étonnant quand on sait que les deux tiers des adultes consomment régulièrement de la pornographie. Cependant, ces rôles sont généralement assez éloignés de la réalité économique, politique et sociale du secteur. C’est ce que déplore Carmina, réalisatrice du documentaire Télétravail du sexe et animatrice du podcast Démonétisé·es.

Carolina Crescentini et Mattia Garaci dans Mrs Playmen.©Netflix

« Je trouve toujours intéressant et encourageant qu’on s’intéresse à l’industrie du porno et qu’on essaie d’en parler, confie-t-elle. Il me paraît important de multiplier les représentations et les points de vue sur le milieu. Malheureusement, aujourd’hui, ça reste très largement raconté par des hommes extérieurs à l’industrie, avec des biais et une vision fantasmée, souvent en utilisant l’esthétique de la misère. Le problème est aussi qu’à mon sens, le grand public confond réalité et fiction quand il s’agit de sexe ou de porno. […] Il faudrait parler plus souvent du point de vue des personnes concernées, et montrer aussi le porno comme un espace de création, voire d’émancipation, et pas seulement comme un problème social ou la cause de tout ce qui va mal dans nos sociétés. »

Créatrice de contenu érotique et fan de séries, Diane évoque également sa perplexité face à ce type de représentations. « Quand il y a des travailleuses du sexe à l’écran ou que l’industrie du porno est représentée dans des productions télévisées dont ce n’est pas le sujet, c’est généralement assez catastrophique. C’est soit misérabiliste comme dans Breaking Bad, soit misogyne comme dans Parks and Recreation. Et quand il s’agit de parler de l’industrie du X, c’est bien souvent montré de manière très glamour, avec un regard fasciné, avec beaucoup d’outrance et d’exubérance… Tout en étant assez dédaigneux et sexiste sur les femmes qui font ça ! En tout cas, c’est très éloigné de la réalité. »

Francesca Colucci dans Mrs Playmen.©Netflix

Un point de vue partagé par le milieu scientifique. Selon la chercheuse Lucia Pollock, l’industrie pornographique est majoritairement abordée dans les séries comme une source d’humour ou de spectaculaire, plutôt que sous un angle réaliste et documenté. La spécialiste Julie Davin constate néanmoins le fait que les œuvres qui en font leur sujet central tendent à proposer des représentations plus fidèles, offrant un regard approfondi et nuancé, qu’il soit critique ou valorisant.

Une manière de parler d’un monde méconnu

Le point commun des séries consacrées au marché de l’érotisme ou du porno est donc une tendance à décrire ou à décrypter les mécaniques internes à cette industrie : comment marche un studio de création de films pour adulte, quelles transformations traversent le milieu, quels sont les différents corps de métier impliqués… C’est par exemple le cas des productions françaises Hard et Xanadu, qui s’attachent à décrire de manière parfois voyeuriste, mais souvent assez précise, les coulisses du secteur.

Supersex.©Netflix

Dans un registre plus dramatique, la minisérie britannique Adult Material dresse le portrait de deux femmes, l’une quittant l’industrie du X, l’autre tentant d’y rentrer. Pour s’attacher à dépeindre des situations relativement proches de la réalité de ces métiers peu connus et au quotidien habituellement fantasmé, les producteurs avaient fait appel à des acteurs et actrices pornos en tant que consultant·e·s. Et ce, afin de rompre avec les représentations habituelles, souvent hors sujet.

Cette idée de coller à la réalité d’un monde réputé obscur, mais exerçant une fascination sur le public, a par ailleurs conduit à la réalisation de séries biographiques sur les vedettes du secteur. On retrouve ainsi des shows comme Supersex (Netflix), consacrée à l’acteur Rocco Siffredi, ou Nacho (inédite en France) dépeignant les dessous de l’industrie pornographique espagnole en partant du parcours du performer Nacho Vidal.

Il faut cependant signaler que ces œuvres, réalisées avec l’accord des acteurs en question, tendent à mettre sous le tapis certains des aspects les plus contestés de leur personnalité. Dans le cas de Supersex, les critiques ont à la fois salué le travail précis de reconstitution d’une époque et d’un contexte, mais déploré le fait que le show ne prenne aucune distance avec la figure très contestée de Siffredi.

Une manière originale de faire de la série historique

Mais, au-delà du simple aspect documentaire sur un sujet porteur, nombre de productions se sont aussi attachées au sujet de la pornographie pour son aspect historique. En effet, l’industrie du X a une longue histoire derrière elle, faite de nombreux bouleversements sociétaux et technologiques (libération sexuelle, arrivée des cinémas pornos, du magnétoscope, d’Internet…). Un contexte très propice à produire des programmes historiques en costume dont les auteurs comme le public sont traditionnellement assez friands.

Supersex.©Netflix

Pour Carmina, « le porno fait partie de notre culture et de notre société, donc tant mieux s’il peut servir de décor pour porter autre chose ! Car c’est important aussi de montrer que le porno [est un fait de société] et qu’il fait avancer les choses d’une manière ou d’une autre. » C’est d’ailleurs la démarche au cœur de la spectaculaire The Deuce (HBO) de George Pelecanos et David Simon (The Wire), diffusée entre 2017 et 2019.

Dans cette dernière, le portrait de la structuration et de l’industrie du porno dans les années 1970 est le prétexte à multiplier les reconstitutions très ambitieuses, à recréer en studio une certaine Amérique et à ressusciter une période iconique aussi fidèlement que possible. Idem pour la série japonaise The Naked Director (Netflix).

The Deuce.©HBO

Ses deux saisons évoquaient avec une précision chirurgicale les transformations financières et sociales du Japon des années 1980, mais aussi la manière dont l’arrivée de la vidéo domestique, puis de la télévision par satellite ont bouleversé la manière de consommer du contenu culturel… et pornographique.

C’est également la démarche derrière Mrs Playmen. Bien plus qu’une série consacrée à la légitimation et la banalisation des publications pour adulte, il s’agit d’une reconstitution minutieuse de l’Italie des années 1960 et, en conséquence, de la manière dont ces thématiques ont bousculé une société encore corsetée par la religion et le contexte politique éprouvant des Années de plomb.

En somme, l’histoire de l’Industrie du X n’est pas uniquement un sujet racoleur permettant d’insérer des scènes licencieuses pour attirer le public. C’est aussi une toile de fond liée à la transformation de nos sociétés dans les dernières décennies, à notre rapport au sexe et à l’histoire des mutations techniques et technologiques. Bref, un sujet inépuisable pour les scénaristes du monde entier.

À partir de
19,99€
En stock vendeur partenaire
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par