Nora Hamzawi réhabilite le roman-photo avec Couple, splendeurs et misères de la vie à deux. L’humoriste y dissèque les relations amoureuses dans un tas de saynètes loufoques, mais réalistes, accompagnée d’un casting tout aussi déjanté qu’elle. Rencontre.
Comment est né ce projet de roman-photo ?
Ça faisait des années que j’accumulais des scènes de couple, mais je ne savais pas quelle forme toute cette matière pouvait prendre : une série, des saynètes, une pièce… Puis l’éditrice Nathalie Fiszman, qui dirige la collection de romans-photos « Mogul » aux éditions du Seuil, qui a publié Guacamole vaudou d’Éric Judor et Fabcaro, ou encore Les six fonctions du langage de Clémentine Melois, m’a proposé de m’essayer à cet exercice. Il y avait quelque chose d’évident dans ce médium un peu désuet pour ce que je voulais raconter. C’est un format qui starifie la vie quotidienne.
L’âge d’or du roman-photo remonte aux années 1980. En aviez-vous déjà lu ?
J’ai quelques souvenirs de magazines de roman-photo, comme Jeune & Jolie. Mais, à l’époque, je n’avais pas trop d’attirance pour ce format. Je trouvais ça un peu étrange de voir des gens, en apparence très normaux, qui ne sont pas des stars, qui ne font pas spécialement rêver, dont on raconte l’histoire comme si c’était la vraie vie, mais mise en scène. Finalement, je crois aussi que c’est ça qui m’a attiré dans l’idée de parler du quotidien à travers un roman-photo.
Dans l’écriture, la mise en scène et le jeu d’acteur, le roman-photo se rapproche-t-il du spectacle d’humour, du théâtre ou bien du cinéma ?
C’est très différent du stand-up, notamment au niveau de la narration, où je suis plutôt dans un monologue qui se détache de mon point de vue. Dans un spectacle, je suis très précise dans le choix des mots. Alors que, dans le roman-photo, il y a un deuxième choix qui s’impose : l’image. Avec le photographe Stéphane Gladieu, on a beaucoup réfléchi en amont à l’ambiance qu’on voulait créer. Je visualisais quelque chose de très quotidien, qui ressemble à la vraie vie, mais qui soit aussi très beau. Une fois sur le tournage, on a shooté les histoires case par case. C’était assez inédit comme expérience, ça ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu faire avant.
À vos côtés, on retrouve un casting complètement fou. Josiane Balasko en belle-mère et une multitude de personnalités masculines pour interpréter votre “mec” : Hakim Jemili, Eddy de Pretto, Thomas VDB ou Augustin Trapenard. Comment les avez-vous convaincus de se prêter à cet exercice totalement loufoque ?
La plupart sont mes amis et j’étais ravie qu’ils soient tout de suite emballés par ce projet. Par exemple, Augustin Trapenard était venu voir mes spectacles, il m’en avait toujours dit du bien et il était content qu’on fasse quelque chose ensemble. C’est marrant parce qu’à l’époque, on avait tourné une bande-annonce ensemble pour son émission 21 cm, où on jouait déjà un couple. C’était rigolo de se replonger dans ce rôle.
Dans ce roman-photo, vous mettez en scène des saynètes de couple : faire chambre à part, les fantasmes, la charge mentale, etc. C’est très réel, rien ne sonne faux. Tout est inspiré de votre vécu ?
J’ai une écriture très introspective, tout est lié à des expériences que j’ai traversées. C’est un drôle de mélange, parce que ce sont des choses que je vis, qui sont assez intimes, et j’aime m’en moquer gentiment, mais ce sont aussi des expériences pour lesquelles j’ai beaucoup de tendresse. C’est un pari absurde que d’être en couple. On a déjà du mal à se supporter soi-même, alors que deux personnes cohabitent et espèrent le faire toute une vie dans l’harmonie, avec du désir, dans le monde dans lequel on vit, c’est fou quand on y pense. J’avais envie que ce soit un roman-photo qui réconcilie et permette de rire de tout ça.
Quelle place occupent l’amour et les réflexions sur le couple dans le reste de votre travail ?
C’est central. Pour mon dernier spectacle, je me demandais sur quoi écrire tellement le monde était anxiogène ; c’était difficile d’avoir envie de rire et de trouver la légèreté. Je me suis alors demandé comment l’actualité s’infiltre dans notre intimité et influence notre libido, notre manière de concevoir l’avenir et de se projeter. Dans le spectacle, je parle de la recherche de la joie intérieure. Il y a comme une forme d’hystérisation face à une ambiance apocalyptique qui vient forcément jouer un rôle dans l’amour, le couple et le désir.
Votre personnage lit Réinventer l’amour de Mona Chollet. Y a-t-il d’autres lectures qui vous ont accompagnée dans votre remise en question des relations amoureuses ?
J’ai adoré Prenez soin de vous de Sophie Calle. Ce livre a été un tournant dans ma manière de concevoir le chagrin. L’autrice fait analyser une lettre de rupture par une centaine de femmes différentes : une psychologue, une sexologue, une avocate et même une joueuse d’échecs. J’ai trouvé hyper fort sa manière de se réapproprier sa peine en passant par l’art. Peu de temps après l’avoir lu, j’ai fait ma première chronique sur France Inter, intitulée Les chagrins d’amour, sur ma propre rupture amoureuse. J’ai toujours gardé cette idée de transformer l’intime en quelque chose de créatif.