L’adaptation animée de l’œuvre de Koyoharu Gotōge entre dans sa dernière ligne droite. Ce premier volet de la trilogie qui conclura l’histoire de Tanjirō offre un spectacle total, où la beauté des combats masque parfois un récit convenu, mais nourrit déjà l’attente des suites.
C’est le début de la fin. Au Grand Rex, ce 5 septembre, la salle a chaviré dans une ferveur collective. Cris, larmes et applaudissements ont accompagné la projection du premier volet de la trilogie qui mettra un terme à l’anime culte Demon Slayer. Intitulé La Forteresse infinie et attendu dans les salles françaises le 17 septembre, ce film de deux heures précipite Tanjirō Kamado et ses compagnons pourfendeurs dans l’antre de Muzan Kibutsuji, maître des démons.
Il prend la suite de l’arc de l’Entraînement des piliers, diffusé au printemps 2024. Aniplex, Crunchyroll et Sony Pictures livrent une fresque d’une virtuosité visuelle incontestable, portée par une narration classique, mais fidèle au manga.
Une cage démesurée
Tout commence par une chute. Propulsés dans le territoire mouvant de Muzan, les héros tombent, puis errent dans ce labyrinthe d’architectures japonaises, qui se plient et se déplient comme dans un cauchemar. Le décor unique, étouffant et fascinant, instaure d’emblée une règle simple : il n’y aura ni répit ni échappatoire. Tout se jouera ici, dans une prison qui tient à la fois du piège et du théâtre.

Vient ensuite la déflagration. Car La Forteresse infinie est avant tout un film de combats : Tanjirō et Tomioka face à la troisième lune, Zen’itsu contre son ancien frère d’armes, Shinobu dans un duel avec Dōma, le meurtrier de sa sœur.
Les autres piliers, eux, patienteront, esquissés en arrière-plan et promis à des affrontements futurs. Mais déjà, les premiers duels imposent leur intensité. Ralentis et accélérations ponctuent chaque séquence, transformant les coups de lame en figures chorégraphiques.

Les couleurs éclatent, les décors se brisent, le sang se mêle aux éclats. Demon Slayer garde ainsi intacte sa singularité : transformer la violence en danse, le combat en spectacle. Peu d’anime tutoient une telle ampleur – sinon Jujutsu Kaisen ou One Punch Man à leur sommet. À cette virtuosité visuelle s’ajoute une bande originale contrastée, entre orchestrations classiques et riffs de guitare électrique.
Cassures de rythme
Si l’animation tutoie l’excellence, le scénario est prisonnier de ses réflexes shōnen : héros séparés, boss à terrasser un par un, protagonistes qui grandissent à chaque affrontement, flashbacks qui rappellent que héros comme antagonistes sont façonnés par la douleur… La mécanique est connue. Rien de neuf, mais l’exécution reste efficace.

Le film, lancé tambour battant, s’autorise dans sa seconde moitié une longue séquence introspective autour d’un des personnages. Belle et émouvante, elle brise toutefois l’élan. Un ralentissement qui divisera : respiration bienvenue pour les uns, longueur pour les autres.
La gravité comme nouvel horizon
Le ton, plus sombre que jamais, réduit l’humour à sa portion congrue. Zen’itsu, naguère clown tragique, adopte désormais la gravité de ses compagnons. Shinobu incarne de son côté une colère glacée, reflet d’années de deuil et de rancune.

Quant à Tanjirō, accompagné d’un Tomioka enfin mis en lumière, il confirme de nouveau sa stature de héros dans le face-à-face ultra-attendu contre Akasa, meurtrier de Kyōjurō Rengoku dans Le train de l’infini. La détermination est à son comble, la vengeance se fait moteur de la lutte, et chaque affrontement porte la certitude qu’il n’y aura pas de retour en arrière. L’anime a franchi un seuil : il n’est plus temps de s’égarer dans la légèreté.
La Forteresse infinie brille ainsi comme un paradoxe : une œuvre esthétiquement sublime, mais prisonnière d’un canevas narratif convenu. Spectaculaire, parfois étouffant, fidèle, mais prévisible, ce premier volet installe un climat d’attente fiévreuse pour la suite.