Entretien

Aliocha Schneider : “J’estime que j’aurais raté ma vie si je me retrouvais seul à la fin”

01 septembre 2025
Par Agathe Renac
Aliocha Schneider sur la scène du Rose Festival.
Aliocha Schneider sur la scène du Rose Festival. ©Boby, Rose Festival

Quand il ne brille pas sur le petit et le grand écran, Aliocha Schneider multiplie les concerts, sa guitare à la main. On a profité de sa venue au Rose Festival pour découvrir les coulisses de sa vie d’auteur, compositeur, interprète et acteur.

Dans quelques heures, vous serez sur la scène du Rose Festival. Que ressentez-vous à l’idée de performer devant des dizaines de milliers de spectateurs – dont certains vous découvrent pour la première fois ?

J’adore les festivals, parce qu’on est confronté à un public fidèle et à de nouvelles têtes. Jusqu’à présent, l’accueil a toujours été bienveillant, donc je n’ai pas trop cette crainte de me faire huer. [Rires] D’autant plus que le Rose Festival marque notre “rentrée”. Tout le monde rentre de vacances, on n’a pas eu de concerts au mois d’août et je dois avouer que ça m’a manqué. J’ai vraiment hâte de remonter sur scène.

Vous êtes auteur, compositeur, interprète et acteur. D’où vous vient cette fibre artistique ?

Je rêve d’être chanteur depuis que j’ai 10 ans ! Je pense que cette fibre artistique me vient de ma famille. Mes parents nous ont très tôt donné accès à l’art pour nous sensibiliser et pour nous éveiller, aussi bien d’un point de vue culturel qu’humain. Enfant, j’étais complètement fan de Robbie Williams. Je l’ai vu performer et danser sur scène, face à toutes ces filles qui étaient folles de lui, et je me suis dit : “Moi aussi, je veux ça !”.

Finalement, je ne danse pas sur scène, et mon travail n’a plus grand-chose à voir avec Robbie Williams parce que j’ai découvert d’autres artistes que j’admirais, comme Bob Dylan ou Jack Johnson. [Rires] Mais tout est parti de là. À l’époque, je ne faisais pas vraiment la différence entre le métier d’acteur et de chanteur. Je rêvais de devenir un artiste, et aujourd’hui, j’ai la chance d’évoluer aussi bien dans la musique que dans le cinéma.

Quels échos la musique fait-elle résonner en vous que le cinéma ne saurait éveiller ? Qu’est-ce qu’elle vous apporte que le cinéma ne peut pas vous offrir ?

La vraie différence, c’est que dans la musique, j’écris mes chansons. J’ai ce côté auteur que je n’ai pas au cinéma, où je suis uniquement interprète. Quand on me demande ce que je préfère entre ces deux formes d’art, j’ai toujours du mal à répondre, mais je pense que ma carrière musicale est plus complète dans le sens où je suis à la fois auteur, compositeur et interprète. En revanche, je pense que je ressentirais la même chose vis-à-vis du cinéma si j’écrivais et réalisais mes propres films.

Après deux albums en anglais, vous avez choisi d’écrire en français. Quelles nuances ce changement de langue apporte-t-il à votre écriture ?

L’écriture en français est plus frontale, car le texte est au premier plan. Quand j’écoute une chanson en anglais, je suis moins attentif aux paroles. Je me laisse d’abord porter par la mélodie et je peux y projeter un peu ce que je veux. Après quatre ou cinq écoutes, je commence vraiment à écouter le texte, et là, j’ai une deuxième vague d’émotions. C’est complètement différent avec le français. La réception du texte est plus directe. Tu ne peux pas te cacher, ni tricher. Ça complique l’écriture, mais une fois que j’arrive à trouver les mots, je trouve que la chanson est plus forte – d’autant plus qu’il s’agit de ma langue maternelle.

©Boby, Rose Festival

Avec ce passage au français, on remarque également que votre visage apparaît désormais sur les pochettes d’albums, alors que vos précédentes couvertures étaient plus abstraites. Ce choix marque-t-il un tournant plus intime et personnel dans votre démarche artistique ?

C’est une question de confiance. Pendant longtemps, je croyais que je n’étais pas “assez”, alors j’essayais de me cacher derrière un personnage mystérieux – à l’image de mes idoles. Je pense à Bob Dylan, insaisissable derrière ses lunettes noires, ou Sixto Rodriguez, qui n’avait révélé que deux photos de lui à l’époque. On ne savait pas vraiment qui ils étaient. J’aimais ce genre de mythe. Quand je me suis lancé dans la musique, j’avais du mal à trouver ma place dans une époque saturée d’images, où il n’y a plus de mystère possible. J’ai essayé de résister à ça, et puis, à un moment, je me suis dit : “Ok, j’ai envie d’y aller, d’assumer, d’avoir cette authenticité et cette proximité avec le public”.

Y a-t-il eu un événement particulier qui a marqué un tournant ou servi de déclic ?

Je pense que c’est vraiment lié à un changement global. Le fait de chanter en français, de travailler avec un nouvel arrangeur qui m’a poussé à mener une tout autre réflexion… J’avais envie de bouger, de changer. Un nouveau disque est souvent composé en réaction au précédent. C’est le cas avec celui-ci. Les autres étaient trop mystérieux, et c’est peut-être pour cette raison qu’ils étaient passés sous le radar. Cette fois, je voulais faire quelque chose de plus frontal.

Et ça a fonctionné : votre nouvel album cartonne !

Et ça a fonctionné ! [Rires] J’avais même enlevé mon nom et je signais juste “Aliocha”, parce que je ne voulais pas être directement associé à ma famille. Et puis je me suis dit que ça fait partie de ma vie. Que cette musique, c’était moi.

©Boby, Rose Festival

Quelles sont vos principales sources d’inspiration, que ce soit sur le plan musical ou humain ?

D’un point de vue musical, Bob Dylan a été une très grande influence durant l’adolescence. J’ai aussi été bercé par toute la scène folk des années 1960, avec Simon and Garfunkel, Leonard Cohen, Joni Mitchell, ou encore Neil Young. Plus tard, il y a aussi eu Elliott Smith, mais en réalité, j’écoute vraiment de tout, de la pop, à de la musique brésilienne en passant par le jazz.

Au-delà de la musique, toutes les formes d’art m’inspirent. Je me nourris aussi de ce que je lis, de ce que je regarde au cinéma et de ce que je vois dans les expositions pour composer mes chansons. Le processus créatif est plus complexe – à chaque fois, on doit tout recréer –, mais c’est un exercice qui demande beaucoup de patience, d’exploration, et d’ouverture d’esprit.

Vos chansons parlent beaucoup d’amour. Puisez-vous dans votre propre expérience pour les composer ?

Je m’inspire de mon vécu, mais aussi de celui de mes proches. J’essaye surtout de traduire des sentiments que j’ai ressentis à travers toutes ces histoires. Si les récits des autres ont pu me toucher, c’est qu’ils font forcément écho à mon propre vécu. Donc d’une certaine façon, ces musiques sont personnelles. Je pense qu’on n’a pas besoin de vivre toutes ces situations pour transmettre une émotion. Mes chansons ne sont pas une sorte de journal intime avec des faits précis sur ma vie.

©Boby, Rose Festival

Quelle chanson d’amour auriez-vous rêvé écrire ?

Chelsea Hotel de Leonard Cohen. La chanson se termine par “That’s all, I don’t even think of you that often”, ou “C’est tout, je ne pense même pas à toi souvent”, en français. La force de ce morceau, c’est qu’il parle de quelque chose de passager. Quand on écrit une chanson, on a le réflexe de vouloir parler de quelque chose de fort, de dire : “Je t’aime tellement, c’est incroyable, c’est tellement intense… ”. Alors que lui, il décide d’écrire sur une situation fragile, mais précieuse.

Votre chanson Julia parle de ceux que la réussite change. Avec le recul, diriez-vous que vous avez un peu de “Julia” en vous, ou êtes-vous resté fidèle à vous-même ?

Ce serait bizarre de dire que je suis devenu quelqu’un d’autre. Bien sûr, la réussite change certaines personnes, mais en réalité, on change tous forcément un peu. On ne peut pas rester exactement la même personne toute notre vie. Mais pour vous répondre : non, ne crois pas être devenu une Julia. [Rires] La vérité, c’est que j’aurais pu. En tant que comédien, ma grande peur était de voir ma vie m’échapper.

Si tu dis oui à tout, si tu acceptes toutes ces “carottes” faciles pour accéder au succès, tu peux vite te perdre. Alors certes, tu auras réussi, mais tu auras aussi peut-être mis de côté certaines de tes valeurs. C’est quelque chose que je garde toujours en tête. Mais c’est difficile, parce qu’on est obligé de faire des compromis. Par exemple, j’aurais pu rester dans le mystère et garder cette distance avec le public, mais j’ai décidé de mettre mon visage en avant et d’avoir cette proximité avec lui.

C’est quoi, pour vous, réussir sa vie ?

Je ne sais pas si la vie est quelque chose qui se réussit ou non. J’ai accompli des choses, réalisé des rêves, mais je pense qu’on sera forcément confronté à des échecs et des succès durant notre existence. Mais à la fin, personne ne peut vraiment nous juger sur ce qu’on a accompli. Pour moi, réussir, c’est avant tout avoir su donner de l’amour à ceux qui m’entourent. J’estime que j’aurais raté ma vie si je me retrouvais seul à la fin. La solitude serait un véritable échec. En revanche, transmettre un peu d’amour et un peu de joie autour de moi… ça, oui, ce serait une vraie réussite.

Vous avez réalisé vos rêves d’enfant, mais en avez-vous débloqué de nouveaux pour le futur Aliocha ?

Il y a toujours ce rêve du “toujours plus” : devenir numéro un, avoir tant de streams, faire exploser les statistiques… Je mentirais si je disais que je n’ai pas envie de tout ça. [Rires] Mais ce qui m’importe vraiment, c’est de m’améliorer en tant qu’artiste : devenir un meilleur musicien, faire de meilleurs albums, écrire de bonnes chansons.

Et réaliser un film ou une série ?

J’adorerais ! J’aimerais aussi beaucoup écrire un livre, mais une chose à la fois. [Rires]

Quels sont vos derniers coups de cœur culturels ?

J’ai lu Cabane d’Abel Quentin, que j’ai beaucoup aimé. Hier, je suis allé voir Valeur sentimentale de Joachim Trier et j’ai eu un gros coup de cœur. C’est une vraie masterclass au niveau de la réalisation. Le dynamisme, les transitions… c’est incroyable. Il nous emmène complètement avec lui, il joue avec le spectateur, les acteurs sont géniaux et le réalisateur les rend exceptionnels. C’est un film très juste et brillant. J’avais adoré Julie en 12 chapitres, mais j’ai préféré Valeur sentimentale. C’est à voir absolument.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste