Entretien

Camille Bordenet pour Sous leurs pas, les années : “Les rencontres dans le réel m’inspiraient des histoires en fiction”

27 août 2025
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Camille Bordenet.
Camille Bordenet. ©Philippe Matsas/Robert Laffont

[Rentrée littéraire 2025] Passionnée de rap et de littérature, la journaliste Camille Bordenet passe à la fiction et donne, grâce à ses héroïnes, une voix littéraire à la ruralité. Rencontre.

Journaliste, Camille Bordenet documente la complexité de la vie en ruralité. Dans Sous leurs pas, les années, son premier roman, elle creuse plus loin dans l’intimité et pose la question de la réconciliation amicale, sociale et territoriale.

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Vous êtes journaliste et Sous leurs pas, les années est votre premier roman. Qu’est-ce qui a fait naître votre envie d’écrire de la fiction ?

Depuis que je suis gamine, j’ai toujours écrit de la fiction dans mon coin, et ce, avant même de savoir que je deviendrais journaliste. Par la force des choses, je me suis tournée vers cette profession parce que je voulais raconter des histoires. Mais ce cadre journalistique, passionnant à plein d’endroits, m’a aussi frustrée à plein d’autres, notamment de ne pas pouvoir déployer certaines histoires réelles gorgées de détails. Je suis obsédée par les détails, ils sont extrêmement politiques et disent beaucoup de nos contradictions et des goûts paradoxaux qui cohabitent au sein d’une même personne. Toute cette matière ne trouve pas sa place dans le format corseté d’un article. Or, je suis convaincue que c’est la complexité émotionnelle de nos affects qui nous rend semblables en dépit de tout ce qui en apparence nous sépare. Mais plus j’étais frustrée de ce que je ne pouvais pas garder dans l’écriture de mes reportages, plus certaines rencontres dans le réel m’inspiraient des histoires en fiction.

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Ce roman retrace une histoire d’amitié, celle de Constance, qui a quitté à ses 18 ans son village natal pour devenir animatrice télé à Paris, et de Jess, restée au Valfroid, en Isère. Quel a été le point de départ de cette histoire ?

Le personnage de Constance est constamment tiraillé entre son désir de revanche sociale et son besoin de réconciliation. Alors qu’un décès survient dans sa famille, elle rentre au Valfroid et retrouve Jess, son amie d’enfance dont elle s’est éloignée. J’avais envie de pousser au maximum le curseur de ce qui peut expliquer un retour aux sources et de créer les conditions d’un trop-plein qui ne soit pas que professionnel, mais aussi intime. Le personnage de Constance ne trouve pas sa place, aussi bien dans le duo amical, dans le couple, que dans les territoires ; elle est ballottée. L’ancrage, c’est Jess. Ce roman est moins l’histoire d’une rupture amicale, sociale et territoriale que celle d’une suture. Ces deux personnages sont faits d’accomplissements et de renoncements, les deux subissent des assignations territoriales, sociales ou de genre dont ils tentent de se dépêtrer.

Le livre est écrit depuis leur deux points de vue. Comment avez-vous travaillé cette dualité ?

Ce n’était pas dur parce que je me sens les deux. Presque tous mes personnages sont inspirés de mes proches, parce qu’on écrit avec qui on est. J’ai une cohabitation intérieure de langues, faite de plein d’expressions populaires de mon adolescence et d’un patois dauphinois que j’aime profondément, que j’ai essayé de scinder entre ces deux personnages. Mais surtout, que le lecteur ne se méprenne pas : Constance, qui est présentatrice télé, n’est pas mon double fictionnel. D’ailleurs, elle ne pratique pas du tout le même journalisme que moi. Que Constance appartienne aux médias, c’était une manière de dresser un portrait au vitriol d’une partie du monde médiatique.

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En effet, vous n’épargnez pas les médias. Vos personnages expriment leur ras-le-bol d’entendre parler de “France périphérique” ou de “diagonale du vide”. Ce roman est-ce aussi un livre sur la déconnexion des médias avec la réalité de la vie en ruralité ?

J’ai longtemps hésité à ce qu’un de mes personnages principaux soit journaliste, par crainte d’une lecture au premier degré et qu’on prenne Constance pour mon double de fiction, ce qui n’est pas le cas. Elle est un archétype de la présentatrice télé devenue victime du show-business. Par le biais de la fiction, je voulais tisser une forme de satire sociale d’une réalité des médias, qui a besoin d’être éclairée puisqu’elle explique, en partie, le fossé ressenti par certains citoyens, ceux des territoires ruraux, mais aussi des quartiers populaires, qui se sentent dépossédés du récit que les politiques et les médias font d’eux.

Comment avez-vous appréhendé le passage de l’écriture journalistique à l’écriture romanesque ?

Nous sommes tous des strates d’identités. Cette complexité émotionnelle et culturelle, le récit journalistique a parfois du mal à la restituer. C’est là la force de la fiction. On peut être issu d’un milieu très privilégié, être très scolaire, tout en ayant baigné dans une culture populaire ; les deux peuvent cohabiter. Ma langue et mon souffle sont le fruit d’un registre soutenu, parce que j’ai toujours été une grande lectrice, mais aussi d’une écoute très assidue de rap. Je ne peux pas me mettre à écrire sans un échauffement de mise en mots, alors j’écoute mon vieux rap des années 2000 : Diam’s, Rohff, IAM ou NTM. C’est révélateur d’un langage populaire, un peu “racaille”, qu’on avait tous dans mon adolescence, et d’un métissage des influences venues des quartiers populaires qu’on retrouve beaucoup dans la jeunesse rurale. Dans ce roman, j’ai voulu raconter une génération, celle de l’adolescence à la campagne dans les années 2000. J’avais ce besoin de consigner toutes ces expressions, car je considère que c’est le rôle de la littérature de laisser les traces d’une langue pour qu’éventuellement, plus tard, elle continue d’exister. En tant que lectrice, j’étais frustrée, car je ne la retrouvais pas, ou très peu, dans la littérature du réalisme social, que j’adore.

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Quelles œuvres vous ont marquée sur le sujet de la ruralité et du retour aux sources ?

La fiction qui me fait rêver et qui a façonné mon regard, c’est certainement Les Rougon-Macquart d’Émile Zola. Son travail d’observation sur le terrain en tant que journaliste et sa manière de dresser, dans ses fictions, une satire sociale de l’époque dans laquelle il vit me fascinent. J’ai lu et relu La curée, dans lequel le personnage de Renée, une bourgeoise qui s’emmerde dans la société hyperbourgeoise du Second Empire, est dans une forme de débordement d’elle-même et ne trouve sa place nulle part. Elle m’a beaucoup inspirée pour imaginer Constance. Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu a également été une lecture décisive pour moi, en termes de déflagration lexicale, ça m’avait fascinée de voir que l’on pouvait s’amuser à mêler différents registres culturels et faire exister des territoires qui sont peu racontés. Marie-Hélène Lafon, qui écrit beaucoup sur le monde paysan, est sûrement l’une de mes autrices préférées. Il y a aussi la langue du romancier américain John Fante que je trouve formidable parce qu’il parvient à faire exister l’oralité populaire, notamment dans son roman Demande à la poussière.

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