Paramount vient d’annoncer une troisième saison de Why Women Kill, mais la deuxième, déjà sur la plateforme Salto, commence sur M6. Marc Cherry, son emblématique créateur, à l’origine du culte Desperate Housewives, profite de l’occasion pour décortiquer son lien à l’écriture, à ses pairs, à la beauté et aux femmes, surtout.
La première saison de Why Women Kill jonglait entre trois temporalités, mais cette saison n’en comporte qu’une. Pourquoi ?
Avec Desperate Housewives, je me suis senti piégé au fil des huit saisons, car je prolongeais constamment le même format. D’un point de vue artistique, je voulais faire une anthologie pour pouvoir faire à chaque saison quelque chose de différent. Pour me sentir libre de proposer différentes façons de raconter une histoire. La première année, je me suis amusé avec trois temporalités. Et l’idée que j’avais pour la deuxième ne nécessitait pas un tel dispositif, j’avais assez à faire avec les personnages.
Pourquoi avoir choisi les années 1950 ?
La beauté est un vrai thème dans cette saison. Chacun, à l’exception de Bertram, le mari, a un comportement, une attitude liée à l’image qu’il renvoie. Ce que les personnages ressentent à propos de leur apparence influence leurs décisions. J’ai donc réfléchi à une période qui me semblait pleine de beauté et de glamour. À mes yeux, en 1949, dans l’après-guerre aux États-Unis, les coiffures, les allures… tout était magnifique et empreint de glamour.
Et on va suivre un personnage qui va beaucoup évoluer…
Ça va être intéressant, oui, de suivre Alma, jouée par Allison Tolman. Elle commence la série sans aucune estime d’elle-même, aucun sens de sa propre valeur. Son désir d’obtenir quelque chose pour elle, son rêve de posséder va la pousser en avant. Et elle se rend compte qu’elle dispose d’un outil inhabituel, en la personne de son mari. De là, ce n’est pas juste une mite devenant un papillon, quelque chose qui se libère de son cocon, c’est aussi une étude du pouvoir et de comment une personne oppressée et mal traitée réagit quand elle gagne en pouvoir. Le voyage de Rita, portée par Lana Parilla, vaut le détour aussi. C’est une sorte de méditation autour du pouvoir absolu – qui corrompt quiconque l’acquiert, comme le dit le vieux dicton –, sur la beauté en tant que pouvoir. Cette réflexion complexe, c’est une matière sans fin pour un auteur.
Pourquoi toujours des femmes ?
Je ne peux que supposer que c’est très freudien de ma part. J’ai toujours été fasciné, sans limites, par ma mère. Par sa façon de traverser la vie, d’utiliser son identité de femme pour obtenir ce qu’elle voulait et faire son chemin dans les années 1960, quand j’étais enfant, dans ce monde d’hommes. Elle est morte en septembre 2020. Ça m’a dévasté. Mais je l’ai toujours vue comme un incroyable mélange de force et de féminité. Mon père voyageait beaucoup pour son travail, j’ai donc passé la plus grande partie de mon enfance avec elle. Ça m’a énormément influencé. La toute première série sur laquelle j’ai travaillé, quand j’avais 27 ans, c’était The Golden Girls, Les Craquantes ; ça m’a initié au concept de séries qui nous plongent dans des univers de groupes de femmes. Et j’ai adoré ! On pourrait dire que j’ai cherché à retrouver ça pendant des années : réunir différents types de femmes et de situations, examiner ce qui les motive, les fait démarrer. Qui plus est, j’ai une sensibilité sombre. Donc si je peux ajouter des meurtres de temps en temps, je suis heureux !
Pourtant, la voix off est celle d’un homme, Jack Davenport, acteur de la saison 1…
Le tout premier jour de la première saison, quand tout le monde lisait le script, il a commencé à parler et j’ai été scotché par la beauté de sa voix. Je me suis alors dit qu’à un moment, je l’utiliserais d’une façon ou d’une autre. Quand j’ai fait la deuxième saison, j’ai tout de suite pensé que je ne voulais pas d’une voix off féminine, que ce serait trop comme Desperate Housewives. Il me fallait un homme. Qui a la plus belle voix que je connaisse ? Jack ! Heureusement, il était disponible ! Il m’a dit que c’était le job le plus simple de sa vie : il a enregistré depuis son appartement !
Qu’apporte l’utilisation de ces voix off ? Est-ce un lien direct avec l’acte d’écrire, avec les livres, la littérature ?
C’est une narration que j’aime beaucoup. Je n’en avais pas utilisé depuis Desperate Housewives et j’étais nerveux à l’idée d’y revenir. Je vais vous confier quelque chose. Quand j’ai commencé à écrire Desperate Housewives, j’ai regardé Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain… et j’ai volé comme un voleur ! La voix off de Marie-Alice a été directement influencée par celle d’Amélie ! Ce qui est drôle, c’est que Brian Fuller, le créateur de la série Pushing Daisies, a lui aussi dit qu’il avait été très influencé par Amélie Poulain ! Les similitudes entre Pushing Daisies et Amélie sont criantes, mais jusqu’ici, personne ne m’a grillé, moi ! Je vous le confesse, là, maintenant ! Ce film a une place spéciale dans mon cœur. Il m’a montré le pouvoir de la voix off et un style de narration singulier. Mon voyage en tant qu’auteur, c’est d’être exposé aux idées des autres et d’en alimenter ma propre âme. C’est chercher comment intégrer ces idées, les transformer en quelque chose qui m’est propre. J’aime la voix off, mais ça fait partie d’un ensemble plus grand, d’une quête incessante de nouvelles formes stylistiques, de nouvelles approches. Et je ne suis pas gêné d’assumer que je vole mes collègues auteurs !
Les anthologies permettent à leur créateur de composer des puzzles, des ensembles de liens. Comme le fait Ryan Murphy, par exemple, dans American Horror Story. Quels sont ceux qui existent entre les deux saisons de Why Women Kill ?
Ce serait génial de dire qu’il y a des connexions entre les deux saisons. Mais je crois qu’en réalité, le seul lien, c’est la Californie du Sud. Je sais que d’autres créateurs lient leurs anthologies de manière très intelligente. J’ai voulu utiliser la même maison, mais ça n’était pas possible. On en voulait une plus grande, de toute façon ! Ce que je peux dire, c’est que nous avons fait quatre décennies différentes jusqu’ici. Dans la saison 3, une nouvelle décennie reflétera une autre période de l’histoire américaine. J’ai déjà un paquet d’idées !
Retrouvera-t-on un jour l’univers de Desperate Housewives, culte pour un grand nombre de spectateurs ?
J’ai terminé la série en bouclant chaque histoire. Je ne sais donc pas comment creuser plus ! Ce qui me manque le plus dans la série, au-delà de mes amitiés, c’est le plateau. C’était le meilleur. C’était à Universal Studios, à quatre minutes en voiture de chez moi ! C’était un terrain de jeu formidable. Wisteria Lane, c’est le personnage que je voudrais explorer encore ! Avec de nouveaux personnages, pourquoi pas, de nos jours. Avec la place des femmes qui a changé. Depuis la première diffusion de Desperate Housewives, il y a 16 ou 17 ans, la société a beaucoup changé.
Mais alors… Pourquoi les femmes tuent ?
Cruauté, oppression, trahison, infidélités… Elles réagissent à ce qu’elles subissent ! Le mieux, c’est de regarder la série.