
Diffusée sur Netflix ce 10 avril, la septième saison de Black Mirror continue d’analyser les travers technologiques à travers six récits autonomes, entre thriller psychologique, science-fiction rétro et cauchemars numériques.
S’il est une série qui a su graver dans nos esprits les dérives d’un futur imminent, c’est bien Black Mirror. Créée en 2011 par Charlie Brooker, cette anthologie britannique désormais culte dissèque les effets souvent sinistres des technologies sur nos existences. Chaque épisode agit comme un (sombre) miroir, révélant les névroses d’un monde hyperconnecté où l’écran devient un piège, une prison.
Cette septième saison, composée de six épisodes aux formats et ambiances très contrastées, marque un retour aux fondamentaux : une science-fiction pure, parfois glaçante, toujours ancrée dans des angoisses profondément humaines. L’œuvre poursuit son exploration du « progrès » en renouvelant sans cesse ses formes narratives et ses tensions dramatiques. Voici ce que nous en avons pensé.
Épisode 1 : Des gens ordinaires, l’abonnement à la survie
Dans le décor on ne peut plus ordinaire d’une banlieue américaine, le premier épisode de cette nouvelle saison pose une question déconcertante : que vaut une vie prolongée par la technologie si elle devient un abonnement mensuel ?
Face au cancer avancé de sa femme, Mike accepte un traitement expérimental d’une entreprise privée baptisée Rivermind. Le dispositif sauvegarde la conscience sur un cloud et remplace les zones atteintes du cerveau par une version clonée.

Une solution révolutionnaire, à condition de rester dans le périmètre des émetteurs… et de régler la facture chaque mois. L’idée vire rapidement au cauchemar. Le couple, soudé par l’amour, se retrouve piégé dans un système où la santé s’achète. Heures supplémentaires, dettes, sacrifices : tout souligne la brutalité d’un modèle privatisé où vivre devient un luxe.

Plus qu’un procès de la technologie, l’épisode pointe du doigt une logique capitaliste bien réelle, propre à un système de santé marchand tel qu’on le connaît outre-Atlantique. L’épisode, sobre et progressivement oppressant, se déploie comme une tragédie intime, rongée par l’absurdité financière. Pas le plus spectaculaire de la saison, mais assurément l’un des plus lucides.
Note de la rédaction : 7/10.
Épisode 2 : Bête noire, entre paranoïa et vérité
Le récit s’ouvre ici sur fond de chocolat nappé. Maria, brillante cadre d’une grande marque agroalimentaire, organise une séance de dégustation. Mais une participante particulière fait remonter toute son amertume : Verity, ancienne camarade de lycée jadis marginalisée, aujourd’hui confiante et souriante. Trop souriante, peut-être. Maria, elle, s’enfonce dans un trouble diffus, entre paranoïa et pressentiment.

Le jeu s’installe dès les premières minutes, dans une atmosphère à la frontière du réel et du fantasme. Verity est-elle une manipulatrice ? Ou Maria perd-elle pied ? L’épisode brouille les pistes, naviguant entre sentiments et réalité.
Le spectateur, tout comme l’héroïne, vacille entre ces deux lectures. Ce n’est pas tant une quête de vérité qu’un glissement intérieur, une lente contamination du présent par des blessures non digérées.

La technologie, discrète jusqu’alors, surgit dans un final abrupt. On bascule ainsi dans un tout autre registre, presque trop brutalement. L’épisode fascine par son écriture trouble et son ambiance, mais son dénouement laisse un goût étrange, comme un dernier carré de chocolat trop amer.
Note de la rédaction : 6/10.
Épisode 3 : Hôtel Rêverie, une mise en abyme sur grand écran
D’abord, une séquence en noir et blanc. Un hôtel d’époque, quelque part au Caire, filmé à la manière d’un vieux classique hollywoodien. Ce n’est pas un simple visionnage ; l’actrice Brandy Friday y est littéralement projetée. Grâce à une technologie nommée Redream, elle ne tourne pas un remake : elle est immergée dans l’univers même du film, dans ses décors originaux, ses lumières vintage, son ambiance figée. Elle y incarne le rôle principal et, pour espérer en sortir, elle doit suivre le scénario à la lettre.

Dans ce troisième épisode, Black Mirror explore une mise en abyme technologique aussi brillante qu’inquiétante. Redream promet une expérience cinématographique ultime, mais chaque écart à la réplique, chaque déviation devient une erreur dangereuse. Le fantasme d’un contrôle total de la fiction se délite : l’hommage tourne à l’enfermement et le scénario devient une prison de pellicule. Brandy n’interprète pas un rôle, elle tente d’y survivre.

Techniquement, c’est un bijou. L’alternance entre noir et blanc vintage et réalité contemporaine installe une tension visuelle saisissante. Emma Corrin et Issa Rae forment un duo magnétique, incarnant deux époques, deux femmes, deux présences, deux humanités. Sous ses allures de jeu cinématographique, l’épisode interroge avec acuité les dérives d’une fiction devenue réalité.
Note de la rédaction : 9/10.
Épisode 4 : De simples jouets, le réel derrière l’écran
Un homme seul, arrêté au petit matin par la police britannique. Son appartement : une caverne technologique aux allures de repaire obsessionnel. Son crime : incertain. Son monde intérieur : opaque. Le quatrième épisode s’ouvre comme un thriller glacial et installe d’emblée un malaise sourd. Il tranche radicalement avec le précédent, troquant l’esthétique léchée pour une ambiance froide et resserrée, pixellisée par les souvenirs.

Au cœur de l’intrigue ? Cameron, passionné de jeux vidéo, accusé d’un meurtre. Ce qui commence comme une enquête policière glisse peu à peu vers un vertige existentiel : et si certains programmes numériques n’étaient pas de simples jeux, mais de véritables formes de vie ? L’épisode interroge subtilement notre rapport au virtuel et à la frontière poreuse entre simulation et réalité tangible.

L’atmosphère est suffocante, les couleurs tantôt ternes, tantôt saturées, et le format resserré. Tout évoque l’enfermement mental d’un homme noyé dans ses obsessions. Les flashbacks des années 1990, les visuels pixellisés et les écrans cathodiques distillent une nostalgie déformée. Et la fin, aussi implacable que le reste, clôt l’épisode sur une note de chaos glacé.
Note de la rédaction : 7/10.
Épisode 5 : Eulogie, les souvenirs reprennent vie
Une photo. Une voix. Un geste oublié. Ici, Black Mirror ralentit et choisit l’intime. Philip, homme discret, accepte de participer à une expérience de commémoration numérique d’une femme disparue, Carol. Un dispositif, posé sur la tempe, permet de revivre ses souvenirs à travers des images. Une sorte de cassette mentale qu’on rembobine, encore et encore. Mais la mémoire ne se laisse pas capturer si facilement.

Très vite, ce qui devait être un hommage devient un labyrinthe. Les souvenirs sont d’abord flous, troués. Le visage de Carol continue d’échapper à Philip, mais leur histoire se redessine progressivement, ravivant des souvenirs parfois heureux, mais principalement douloureux. L’épisode se construit comme un huis clos porté par un duo presque immobile : lui et l’IA qui le guide. Une conversation sur ce qui reste quand tout appartient au passé. Et sur les souvenirs qu’on préfèrerait ne pas réveiller.

Ici, la technologie ne détruit rien, elle révèle. Elle ne menace pas le monde, elle l’érode, doucement, de l’intérieur. Eulogie parle moins de futur que de passé : de ces choses qu’on croit avoir rangées et qui finissent par nous submerger. Pas de frisson spectaculaire, mais une fêlure intime et une lente marée de regrets.
Note de la rédaction : 8/10.
Épisode 6 : USS Callister : au cœur d’Infinity, la suite du chapitre culte
Retour sur la passerelle. Sept ans après sa sortie, Black Mirror propose une suite de 90 minutes à USS Callister, épisode culte de la saison 4. On y découvrait Robert Daly, programmeur humilié, qui tyrannisait des clones numériques de ses collègues dans une version pirate du jeu Infinity. L’équipage, mené par la nouvelle arrivée Nanette Cole, finissait par s’enfuir, piégeant le créateur dans sa propre simulation.

Dans cette suite directe, Daly est mort, mais son monde se poursuit. Désormais livrés à eux-mêmes, les clones de l’USS Callister dérivent dans Infinity, devenu un immense jeu en ligne comptant 30 millions de joueurs. À bord, Nanette est désormais capitaine. Mais l’équipage doit composer avec une nouvelle réalité : pour survivre, ils doivent interagir avec les joueurs, sans révéler leur véritable nature.

La série bascule ici dans un récit d’intégration forcée. Le danger n’est plus la tyrannie d’un homme, mais l’immensité d’un système. Les clones, êtres conscients, n’ont aucune existence légale. Leur présence, tolérée dans l’ombre, menace l’équilibre du jeu. Face à eux, les choix sont restreints : disparaître ou s’adapter à tout prix.
L’épisode interroge la notion de liberté dans un univers persistant et la frontière floue entre IA, clone et avatar. Moins percutant que le premier, il réussit pourtant à élargir l’univers en question. Une suite maîtrisée, riche en actions et en rebondissements, offrant un final efficace et original.
Note de la rédaction : 7/10.