La promesse de la fiction écologique est double : il s’agit à la fois d’anticiper le pire et d’imaginer d’autres rapports à la nature. Aperçu d’un genre littéraire en pleine expansion.
Les rayonnages des librairies se laissent conquérir, depuis quelques années déjà, par les nombreux titres qui se rapportent, d’une façon ou d’une autre, à la question écologique. Tandis que les essais philosophiques et sociologiques questionnent le rapport occidental à la nature, les guides pratiques nous apprennent à devenir « zéro déchet » ou à créer un potager en permaculture.
Mais l’écologie a également pris racine dans la fiction littéraire francophone – à tel point qu’un prix du roman d’écologie a vu le jour en 2018. Il récompense chaque année un roman francophone qui place l’écologie au cœur de sa trame narrative.
Car écrire n’est pas seulement faire prise avec sa propre vie ou ses propres drames intimes, c’est aussi – et surtout ! – faire prise avec le monde et les bouleversements qu’il traverse. Et, puisque la crise environnementale est au cœur de nos préoccupations actuelles, il semble bien naturel d’en explorer les ramifications dans les œuvres de fiction. D’autant que l’imaginaire peut se révéler merveilleux rempart contre le désespoir.
Le renouveau de l’écofiction
Si elle existe depuis le XIXe siècle, la fiction écologique – ou écofiction – connaît son âge d’or dans le monde anglo-saxon des années 1970, en parallèle de la montée de l’environnementalisme occidental. Il faut noter néanmoins que les récits plaçant le non-humain en leur centre ont toujours existé dans les traditions orales et artistiques des Peuples Premiers. Pour le chercheur Christian Chelebourg, auteur du livre Les Écofictions, mythologie de la fin du monde (Impressions nouvelles, 2013), l’écofiction est « une manière d’entrer en résonance avec l’imaginaire d’une époque fascinée par sa puissance et terrifiée par un avenir dans lequel elle ne sait plus lire que des promesses de déclin ». Il n’est donc pas étonnant que les romans qui parlent d’écologie le fassent le plus souvent par le prisme de la catastrophe, se muant ainsi en dystopies et récits d’anticipation.
Le genre de l’écofiction ne s’est d’ailleurs pas invité qu’en littérature : il a aussi conquis le cinéma. On pense par exemple à Wall-E (2008), ce film d’animation post-apocalyptique qui met en scène deux robots bien décidés à préserver une jeune pousse de plante. Mais on se rappelle aussi le succès phénoménal d’Avatar (2009), ce film de science-fiction aux accents écologistes qui mettait en scène le combat d’un peuple autochtone contre les ambitions colonisatrices et extractivistes des humains.
Trois écofictions littéraires à découvrir en 2022 :
1. Le Cœur et le Chaos de Jennifer Murzeau
Ce roman polyphonique met en scène trois personnages en proie à leurs démons et à leur solitude, dans un Paris en plein effondrement. Jennifer Murzeau aborde les questions des liens, de l’amour, de la rage et de l’espoir. Captivant.
Le Cœur et le Chaos, de Jennifer Murzeau, Julliard, 2021.
2. La Verticale du fleuve de Clara Arnaud
Suyapa, militante écologiste de la communauté Ienchua, est brutalement assassinée. Ses trois filles retournent alors dans leur village natal, justement au moment où démarre le projet de construction du barrage hydroélectrique contre lequel leur mère a longtemps lutté. Alors qu’elles assistent à la destruction des terres de leurs ancêtres sous couvert de modernité « verte », elles partent en quête de vérité. Un drame familial et politique envoûtant inspiré de la vie et de la mort de la militante Berta Cáceres.
La Verticale du fleuve, de Clara Arnaud, Actes Sud, 2021.
3. Viendra le temps du feu de Wendy Delorme
En France, dans un futur pas si lointain, le cataclysme climatique a engendré une série de crises écologiques et sociales ayant mené à la prise de pouvoir d’un gouvernement fasciste exerçant un contrôle totalitaire – et patriarcal – sur les citoyens. Mais, de l’autre côté du fleuve, des femmes vivent libres, entre roche et terre. Dans cette dystopie résolument queer et féministe, six personnages aux destins croisés mêlent leurs voix. Une merveille.
Viendra le temps du feu, de Wendy Delorme, Cambourakis, 2021.