Pour la Saint-Valentin, Apple TV+ nous offre une comédie romantique drôle, marquée par l’influence des télénovelas.
Oscillant entre des représentations anatomiques du cœur et certaines plus pop que ne renierait pas Warhol, le générique d‘À l’amour, à la mort [anciennement Love you to Death (A muerte)] donne le ton. Magnifiquement mise en musique par un chœur masculin et des percussions, cette succession d’images nous assène un fatras de références kitsch, évoquant les heures les plus sombres des télénovelas, annonçant d’emblée le ton du show : une fiction hybride coincée quelque part entre deux mondes.
Reste à classer l’inclassable : À l’amour, à la mort joue-t-elle le rôle d’un défibrillateur, pour redonner vie au genre de la télénovela ? Ou prend-elle la forme d’une série Frankenstein, faite d’un agrégat de codes de feuilletons sud-américains accolés à ceux de comédies dramatiques plus classiques ? On vous dit tout de cette œuvre qui touche au cœur.
L’Espagne et les télénovelas : une passion amoureuse
Dans un écrin de luxe outrancier, la télénovela est un genre très codifié, préférant au calme les intrigues les plus abracadabrantes. Faisant la part belle à la romance et aux relations de famille compliquées, ce type de fictions qui peut compter jusqu’à 200 épisodes met souvent en scène des personnages archétypaux.
Très bons ou très mauvais… La nuance a du mal à exister dans ces séries où le surjeu se fait banal, comme dans La usurpadora (1998) qui mettait en scène deux sœurs jumelles injustement séparées à la naissance et dont les situations sociales et les caractères étaient diamétralement opposés.
Un genre qui donne vie à des figures la plupart du temps richissimes, ou dont l’ascension sociale a été fulgurante, comme dans Marimar (1994) où Thalia, qui ne sait ni lire ni écrire, finit par se venger et changer son destin. Mais aussi des œuvres au casting presque exclusivement caucasien, à l’image de Pasión de Gavilanes (2003) ou la très connue Yo Soy Betty, la Fea (1999), une création mexicaine qui s’est bien exportée en Europe.
Avec le temps et la prolifération des séries, les studios ont compris qu’il fallait adapter le genre. Si les fondements restent globalement les mêmes, la sérienovela, version contemporaine de la télénovela, a intégré la notion de saisons dans sa structure : les 200 épisodes se divisent maintenant en arcs narratifs plus courts dans lesquels les cliffhangers sont légion.
En termes de thématiques, les succès des teen-movies ont poussé l’émergence de teen-novelas comme Teresa (2010). Tout comme les conflits liés à la drogue ont poussé à la création d’une sous-catégorie nommée narconovela, à l’image de La reina del Sur (2011), où la violence se fait plus prégnante.
Avec la métamorphose des codes du genre, les personnages principaux ont aussi évolué vers plus de nuances et de complexité. Originaire plutôt du territoire sud-américain, le Mexique, le Brésil et la Colombie en tête, et dans une moindre mesure des États-Unis, le genre a pourtant eu un vrai impact sur le Vieux Continent, notamment en Espagne pour des raisons évidentes de langue commune.
Pour autant, dans le pays de Don Quichotte, les romances se font plus hybrides, puisant dans les télénovelas des éléments de dramaturgie, tout en tirant des comédies dramatiques européennes leur format plus court et leur structure narrative. Leader de ce genre en Espagne, le groupe médiatique Atresmedia l’a renouvelé au travers de fictions devenues cultes comme Gran hotel (2011-2013), Velvet (2014-2016) ou El secreto de puente viejo (2011-2020).
Des shows qui ont fonctionné grâce à une qualité d’écriture, de narration et une envergure cinématographique qui les démarquent des feuilletons classiques. Le dernier-né de chez Atresmedia à destination d’Apple TV+ ? À l’amour, à la mort qui, à la manière de Jane The Virgin, se veut un hommage au genre plus qu’une télénovela per se.
Une relecture des codes de la télénovela
À l’amour, à la mort nous plonge dans les histoires parallèles de Raúl (Joan Amargós), fraîchement largué et diagnostiqué d’un cancer du cœur, et de Marta (Verónica Echegui), une femme libre, un brin déjantée, qui apprend qu’elle est enceinte. Des chemins qui bientôt vont se croiser et peut-être aider les personnages à redonner des couleurs à leurs existences ponctuées de pressions sociales, de chagrins et de maladie.
La construction même d’À l’amour, à la mort l’éloigne des structures des télénovelas classiques, composées de 100 à 200 épisodes et dont la fin se fait définitive. Ici, à la manière d’une sérienovela moderne, voire d’une mini-série, la saison ne compte que sept épisodes et laisse ouverte la possibilité d’une suite.
De plus, quand les shows sud-américains préfèrent entremêler des arcs narratifs différents, À l’amour, à la mort se concentre sur une intrigue unique faisant la part belle aux introspections personnelles. En termes de thématique, en revanche, celle de l’amour contrarié, ici par un cancer et les blessures émotionnelles de Marta, se rapproche de ce que l’on peut trouver en Amérique du Sud.
Si la création de Dani de la Orden [qui a fait ses armes avec Elite (2018)] est axée autour de drames émotionnels, de conflits familiaux et d’histoires d’amour compliquées, le duo Raúl-Marta se fait plus sophistiqué et plus subtil, laissant au placard les exagérations dans le jeu.
La série emprunte malgré tout au genre la figure des « alliés comiques » – en l’occurrence la sœur de Marta et le meilleur ami de Raúl –, des personnages secondaires qui insufflent de la légèreté dans le récit et qui permettent aux personnages principaux d’avancer. Des entités qui, comme dans les télénovelas, sont toutes et tous blancs et, sans être riches, ne semblent pas à plaindre.
Enfin, les différences majeures entre les télénovelas classiques et un show plus moderne comme À l’amour, à la mort se ressentent dans tout ce qui entoure la série. La fiction d’Apple a ainsi pu profiter de plus gros moyens de production et d’une réalisation léchée qui l’éloignent de l’esthétique télévisuelle.
Enfin, quand le public cible des fictions sud-américaines est souvent familial ou national, il est ici remplacé par une audience plus jeune, urbaine et internationale. À l’amour, à la mort veut se hisser au niveau d’une histoire d’amour universelle et proposer une romance de qualité pour la Saint-Valentin… Pari réussi.
On aime à mort… ou pas ?
Disons-le d’emblée : À l’amour, à la mort est dans l’ensemble une belle réussite. Portée par Verónica Echegui (Apaches, The Patients of Dr. García) qui joue Marta et Joan Amargós (Paraíso, Nasdrovia) qui joue Raúl, un duo de comédiens expérimentés et poignants, l’intrigue tient surtout sur le traitement des liens que chacun des deux personnages entretient avec ses proches. Sa sœur et ses parents pour Marta, son ex et son meilleur ami pour Raúl.
C’est d’ailleurs cette panoplie de seconds couteaux à l’humour débridé qui donne tout son charme à la série. Un show qui, durant une bonne moitié, utilise tous les assets de la comédie, allant du comique de situation au comique de mots, pour souffler un vrai vent de fraîcheur… Au détriment parfois du traitement de la maladie de Raúl, peu abordée en début de série alors même qu’elle se fait mortelle, semble-t-il, dans 70 % des cas. Mais la réalité du diagnostic finira par rattraper notre groupe et nous donnera quelques moments d’émotion puissants.
Il faut dire que ce soap efficace en sept épisodes est avant tout l’occasion de se plonger dans l’intériorité, l’intimité des personnages tout en évoquant des enjeux très contemporains, susceptibles de trouver un écho chez chacun de nous : la maladie, la peur de l’engagement et notre rapport aux autres dans une société individualiste (et masculiniste).
Ainsi, hormis un traitement esthétique parfois assez kitsch, à l’image de flashbacks qui semblent sortis d’outre-tombe et d’un montage épileptique souvent épuisant, la production de Dani de la Orden a réussi à nous toucher au cœur.
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