Le festival de l’Alpe d’Huez 2025 a donné son coup d’envoi cette semaine. À cette occasion, L’Éclaireur a rencontré l’équipe de L’amour, c’est surcoté présenté en compétition.
Après avoir écrit L’amour, c’est surcoté, Mourad Winter s’est lancé le défi de l’adapter sur grand écran. Le jeune réalisateur y raconte l’histoire d’amour d’Anis (Hakim Jemili) et Madeleine (Laura Felpin) dans une dramédie pleine d’humour et d’émotion. À l’occasion de sa présentation en compétition au Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez, L’Éclaireur a pu s’entretenir avec le cinéaste et la comédienne.
Mourad, vous adaptez votre propre livre sur grand écran. Comment s’est déroulé ce processus ?
Mourad Winter : Il y a plus de limites dans le cinéma, mais c’est ça qui est génial ! C’est plus fascinant d’écrire le roman à mes yeux, mais ces limites permettent justement de trouver de la créativité et de travailler différemment. Finalement, j’ai pris beaucoup de plaisir sur ces deux projets.
Quel exercice représente le fait de se replonger dans sa propre œuvre, de relire ses propres mots avant d’en faire un film ?
M. W. : J’ai un gros problème avec le fait de relire mes textes, ça me fait peur. Généralement, je n’arrive pas à les relire, car je trouve toujours que c’est nul. Mais dans le cas de l’adaptation, j’étais forcément obligé ! Ce n’est qu’à partir du moment où tu vois l’engouement des gens pour ton adaptation que tu commences à te dire que c’est plutôt pas mal.
Laura, comment la rencontre avec le personnage de Madeleine et le script s’est-elle faite ?
Laura Felpin : J’ai rencontré le script quand Mourad me l’a donné un soir. En réalité, je n’avais pas encore lu le livre, à l’époque, mais j’en avais beaucoup entendu parler. Puis, j’entends finalement parler de cette adaptation folle. Mourad me donne le scénario et je finis par le lire en rentrant chez moi. J’ai eu envie de le faire au bout de seulement trois pages. J’espérais qu’il ne l’ait pas donné à dix autres personnes ! Finalement, il m’a fait un très beau cadeau.
M. W. : Mais merci à toi d’avoir accepté, surtout, ce rôle était fait pour toi !
Hakim Jemili incarne Anis dans le film et tombe amoureux de Madeleine. Quel partenaire était-il sur le tournage ?
M. W. : J’ai toujours trouvé Hakim grandiose. Je l’avais vu dans Docteur ? avec Michel Blanc. Il m’avait mis une belle gifle. La vérité, c’est que j’avais proposé le rôle à Malik Bentalha, mais il n’a pas pu le faire finalement. De son côté, Hakim savait que je pensais à lui, mais il était aussi sur un autre film. On espérait beaucoup l’avoir ! Dès qu’on l’a eu, ça a été un vrai soulagement.
L’amour, c’est surcoté est incarné par des comédiens venus du stand-up : Laura Felpin, Hakim Jemili, mais aussi Benjamin Tranié. Était-ce un choix conscient ?
M. W. : Non, je voulais des comédiens qui savent avant tout jouer la comédie. J’avais besoin de personnes qui allaient bien incarner mes textes. Après, je trouve qu’en termes de stand-up, en France, on a un vivier exceptionnel. Un bon humoriste, si tu le diriges bien et que tu lui fais baisser un petit peu la comédie – car, naturellement, il surjoue comme quand il est sur scène –, tu peux lui faire faire quelque chose de grandiose. Mes acteurs l’ont très bien compris. Je n’ai même pas eu besoin de leur expliquer. Ils ont compris qu’on n’était pas sur scène, on était vraiment sur de la fiction.
Le film joue, par ses thèmes, à la fois sur de la comédie et de la tragédie. Comment trouve-t-on le bon équilibre ?
M. W. : Jongler entre la comédie et le drame est avant tout un travail de montage. Mais ça passe aussi par l’écriture et le tournage. Sur le plateau de L’amour, c’est surcoté, la chance que l’on avait c’est que les comédiens ne comptaient pas leurs heures. Disons, qu’il n’y avait plus aucun respect du Code du travail [rires] : on enchaînait les prises, on prenait du temps, on avait besoin de changer de lumière entre les scènes pour mettre le plus de cinéma possible dans le film. Laura a tourné 97 jours sur 96 ! [Rires] Du coup, en tant que réalisateur, j’ai vraiment vu cet équilibre au montage. J’espérais que la comédie ne gâche pas l’émotion et vice versa.
Une bonne comédie n’est-elle pas celle qui se base sur du drame ?
L. F. : Il ne faut pas oublier que la vie est traversée par la comédie autant que par le drame. Qui n’a pas eu de fou rire à un enterrement ? Tout est relié. C’est dommage de vouloir cloisonner l’un et l’autre, car ça n’est pas vraiment la réalité d’une vie.
M. W : Il y a comme des vases communicants entre l’humour, le rire et les larmes. Je pense que plus tu pousses l’humour, plus tu peux réussir, plus facilement, à faire “pleurer”. Tu as créé quelque chose chez le spectateur d’assez organique et d’émouvant.
L’amour, c’est surcoté évoque aussi beaucoup de thèmes sociaux, comme le racisme, la transidentité, la xénophobie, la vie en banlieue, notamment à travers le personnage de Benjamin Tranié, qui est formidable…
L. F. : Je trouve que quand on regarde le film, on est comme dans un groupe WhatsApp dans lequel on ne voudrait jamais qu’on sache qu’on a dit ça. Dans le cas de Benjamin Tranié, l’humour noir et racisme est fait avec beaucoup de tendresse. Il faut être solide pour oser le faire, mais c’est toujours placé au bon endroit. Je trouve qu’il y a une certaine condescendance à croire qu’il n’y a pas d’humour dans ces questionnements-là.
On ne va pas nier ça, parce que le nier, c’est faire comme s’ils n’existaient pas. Je trouve qu’à tous les endroits où Benjamin Tranié exprime tout ça, c’est parce que ce sont de vraies choses, avec une vraie tendresse, sans jamais être moqueur ou blessant. Il ne faut pas oublier que le personnage de Benjamin, quand il fait des blagues sur les noirs par exemple, baigne en fait dans cette culture-là, il vit avec elle. Il y a quelque chose de paradoxal, car tous ses amis sont noirs. C’est tout simplement sa vie, c’est un blanc de cité !
M. W. : J’ai très peu vu le personnage du mec de cité blanc dans des films, alors qu’il est là et extrêmement marrant. Il fait toujours les meilleures vannes ; celles que j’aurais aimé avoir d’ailleurs, mais c’était moi qui étais stigmatisé ! [Rires]
Avez-vous laissé une place à l’improvisation sur le tournage ?
L. F. : Mourad voulait que l’on s’approprie le texte tout en étant précis dans ce qu’il voulait. Cette précision m’aidait beaucoup. On pouvait s’amuser si on voulait, mais la réalité c’est qu’à la fin, ce qu’il garde, c’est ce qu’il a écrit. Il était tellement précis et vif. C’est le mot qui pourrait le mieux le définir.
M. W. : C’est aussi un travail qui s’est fait en amont, durant la préparation. On s’adaptait, notamment avec Hakim parce qu’il a un phrasé particulier. Il parvient à te sortir des pépites dans le film, auxquelles on ne s’attendait pas. On l’a pourtant ramené à quelque chose de plus sobre que ce qu’il fait sur scène.
L. F. : Il y avait ce truc de tirer en arrière les cheveux de la comédie. C’est d’ailleurs grâce à cela qu’il en devient irrésistible. Ça lui vient de cette manière qu’il a d’être paumé tout en assumant ses contradictions.
Maintenant que le livre est sorti, que le film a été présenté à l’Alpe d’Huez et que le public l’a découvert, que retenez-vous de l’amour ?
M. W. : Je dois avouer que j’avais une vision assez claire quand j’ai écrit le livre, puis quand je l’ai adapté, de ce que je voulais dire exactement. Je sais ce que je veux raconter. Bien sûr, on a parfois des doutes, mais j’ai toujours été fan de l’amour en général. Je trouve que c’est la seule chose qui mérite d’être vécue. Tout ce qu’on fait, c’est par amour. J’ai depuis longtemps assimilé que ça guidait ma vie et que ça fait un bien fou ! J’ai senti, en revanche, chez mes comédiens, qu’ils étaient peut-être émus et bouleversés par ce qu’ils ont vécu grâce à l’ambiance de tournage, et cette expérience d’amour fusionnel entre nous.
L. F. : Au-delà d’un film qui se passe très bien, il y a aussi, pour moi, le fait que toutes les formes d’amour sont valorisées : non seulement le couple, mais aussi l’amitié, qui est un endroit qu’on essaie d’explorer un peu plus aujourd’hui. On sort aussi du schéma classique du couple hétérosexuel dans L’amour, c’est surcoté, avec une femme qui n’est pas sacrificielle. Je suis presque plus émue par l’amour de ces garçons qui ne parlent pas de la mort de leur ami et leur deuil commun qu’ils n’arrivent pas à faire. Le deuil aussi est une question d’amour, parce que la mort est finalement toujours liée à la vie. L’amour est la seule chose par laquelle on est traversé. Il ne faut pas oublier l’humour aussi : dans l’amour, il y a beaucoup d’humour. L’humour, c’est incroyable, car c’est une manière de voir l’autre ; quand tu commences à faire une blague sur quelqu’un, c’est déjà poser un regard.