Elles et ils sont les finalistes malheureux de la course aux grands prix, mais grâce à la qualité indubitable de leur texte, ils ont gagné le cœur d’autres jurys et surtout celui des lecteurs. Hommage aux perdants.
| Sandrine Collette, Madelaine avant l’aube
Dans un lieu qu’on a bien du mal à situer, à une époque indéterminée, une enfant sauvage surgit du fond des bois. Une fillette affamée, au sens propre comme au sens figuré. Passionnée, courageuse, indomptable même, Madelaine fait irruption dans une société bien rangée, un minuscule hameau qu’on appelle Les Montées, où les maîtres-mots sont plutôt travail, silence, injustice et soumission. Par sa simple fureur de vivre, cette liberté féroce qui n’a jamais été muselée, Madelaine va gripper l’ordre établi et attiser les braises de la révolte.
Dans ces terres reculées, coupées du monde qu’elle affectionne tant et qui servent de décor à la plupart de ses livres, Sandrine Colette dessine une fable envoûtante qui questionne la servitude que l’on subit et celle que l’on s’impose. Avec une poésie âpre et brutale, elle dessine les contours d’une émancipation qui coûte presque autant qu’elle délivre. Un des livres de la rentrée, finaliste malheureux du prix Goncourt, mais récompensé par la jeunesse avec le Goncourt des lycéens.
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| Gabriella Zalapi, Ilaria ou la conquête de la désobéissance
Chaque année, au mois de décembre, l’occasion nous est donnée de rattraper par le col certains titres injustement passés sous nos radars lors de la rentrée littéraire. Récompensé du Femina des lycéens, Ilaria de Gabriella Zalapi est de ceux-là. La plasticienne d’origine italienne écrivant en français continue à composer, à coup d’instantanés, le récit fragmentaire de sa famille et restitue un épisode synonyme pour elle de fin de l’enfance.
Mai 1980, elle a 8 ans. Fille de parents divorcés, elle partage sa vie entre Genève et Turin. Mais un jour, son père Fulvio décide de partir en cavale avec elle. De Trieste à la Sicile en passant par Rome, à la suite de cet escroc déjanté un peu trop porté sur la bouteille, elle fait l’apprentissage brutal de la vie. Un road trip tragicomique qui se soldera par une question fatidique et cruelle : « Avec qui veux-tu aller ? Avec maman ou avec papa ? »
| Thibault de Montaigu, Cœur
C’est un livre de commande. Sauf que l’ordre d’écrire n’émane pas d’un quelconque arrangement avec un éditeur, mais d’une supplication paternelle. Malade, diminué, le père de Thibault de Montaigu demande un jour à son fils de consacrer son prochain livre à l’un de leurs aïeuls, Louis, capitaine décoré des hussards, mort lors d’une charge héroïque en 1914.
Réticent, mais désireux de saisir cette ultime chance de plaire à une figure imposante, absente, avare en affection, le romancier s’exécute et s’élance dans les méandres de sa glorieuse généalogie familiale. Pour y croiser toute une ligne d’hommes flamboyants, dont un noble qui a bravé la Terreur, mais surtout pour y découvrir des secrets aux airs de circonstances atténuantes à la dureté du père. Et si cette requête littéraire n’était qu’un prétexte pour enfin se rapprocher et dire ce qu’on n’avait jamais osé s’avouer ?
| Emma Becker, Le Mal joli
Sans aucun doute le roman qui a le plus fait parler de lui. Déjà connue pour sa littérature sensuelle célébrant avec force le corps féminin, les brûlures du désir et l’exultation sans entrave – on se souvient de La Maison, récit de son expérience au sein d’un bordel berlinois –, Emma Becker enfonce le clou avec un texte troublant, mais magnifique. Elle raconte la passion soudaine et dévorante qui l’a consumée et la consume encore pour un autre écrivain marié.
D’une noble lignée, de droite, il est aux antipodes d’elle, mais tout chez lui l’attire irrémédiablement. Et la chose est réciproque. Comment naît le désir, comme il éclate et vous submerge, comment toutes les considérations qui gravitent autour volent en éclat ? On n’avait pas raconté les vertiges de la passion et le sexe comme ça depuis un bon bout de temps. Les puritains en arrêt respiratoire, les amoureux de littérature en pleine extase.
| Olivier Norek, Les Guerriers de l’hiver
C’est le coup de poker de cette rentrée littéraire. Olivier Norek, grand nom du polar, auteur d’enquêtes mémorables comme Surface ou Entre deux mondes a décidé, après le déclenchement de la Guerre en Ukraine, de délaisser la noire pour la blanche et de se plonger dans une grande fresque historique. Il la consacre à un conflit méconnu, qui a eu lieu aux premières lueurs de la Seconde Guerre mondiale : la Guerre d’hiver.
Un matin de 1939, la Russie de Staline envahit la Finlande pour asseoir sa domination sur la région, mais surtout pour se protéger de l’Allemagne Nazie avec qui elle a signé un pacte fragile. Elle ne le sait pas encore, mais elle vient de mettre les pieds dans le territoire le plus hostile qui soit. Car bien qu’en très large infériorité numérique, les Finlandais, animés par le légendaire Sisu, cette force de caractère indescriptible, sont des ennemis redoutables qui connaissent leur pays sur le bout des doigts et n’ont pas peur de se battre par -40 °C.
Simo Hayha est l’emblème de cette âme féroce. Le sniper, qu’on surnomme « la Mort blanche » va décimer les troupes russes (plus de 500 victimes), en s’enterrant dans la neige, armé de son seul fusil, patientant des heures durant dans le froid jusqu’à ce qu’apparaissent ses proies.
En caméra embarquée, Olivier Norek nous faire revivre cet épisode méconnu de l’histoire et offre une voix à des hommes qui, pour devenir des héros, ont dû aussi accepter d’être des monstres.