À l’heure de faire le bilan de l’année 2024, un mot nous vient à l’esprit : « brat ». Durant l’été, l’Anglaise Charli XCX a réussi à imposer ce phénomène jusqu’à la fin de l’année… et peut-être même plus ?
Il y a eu Taylor Swift, Beyoncé, Billie Eilish… Certes, les albums de popstars féminines ont été nombreux en 2024, mais une seule peut se targuer d’avoir créé un mouvement mondial ayant autant investi les clubs que la mode et TikTok.
Aux prémices de l’été, il n’a fallu que quelques semaines au nom de l’album de l’Anglaise Charli XCX, Brat, pour investir le langage courant. Un terme que l’on peut traduire par « peste », « morveux », « sale gosse », au choix, et qui s’utilise désormais comme qualificatif : on peut donc être « brat », ou non.
La star, elle-même, en a donné sa définition sur son compte TikTok : « La fille “brat” est une fille qui est un peu bordélique, qui aime bien faire la fête, qui fait des choses un peu débiles parfois… mais qui est aussi très honnête. » Une définition qu’elle complète avec quelques détails bienvenus (« Une meuf avec un paquet de clopes, un briquet bic et un marcel blanc sans soutien-gorge ») et qu’elle incarne à merveille.
Consécration : le dictionnaire anglais Collins l’a désigné mot de l’année, ce début novembre. Avec deux albums – Brat, l’original, sorti début juin, et la version augmentée, faite de duos, en octobre – à la rythmique imparable, pensés comme un hommage à la culture rave, Charli XCX est devenue l’artiste féminine la plus passionnante de l’année.
Brat summer : stars, engouement médiatique et Kamala Harris
Mais alors, comment a-t-elle fait de « brat » un phénomène culturel ? Rembobinons. Avec six albums à son actif jusqu’à début 2024, Charlotte Aitchison, de son vrai nom, a clos un chapitre de sa carrière en 2022 avec Crash, qui tranchait avec l’hyperpop dont elle était l’une des plus grandes voix dans la décennie précédente, en prenant là un virage plus pop et commercial, mais moins audacieux.
Onze ans après True Romance (2013) et dix ans après son explosion en duo avec Iggy Azaela sur le titre Fancy, la native de Londres comptait bien faire de 2024 son année, avec un retour annoncé sur Instagram. Comme d’autres stars de son envergure, elle a pris le soin de supprimer tous ses contenus précédents, pour distiller, au fil des semaines, de nouvelles photos d’elle, des visuels et autres indices quant à sa direction artistique, à l’image de son post « Party Girl », indiquant en légende que la rave serait au rendez-vous. Le 28 février, elle partage enfin ce qui deviendra la pochette de l’album Brat. Un opus composé de 15 morceaux et d’une durée de 41,23 minutes.
Le 7 juin, l’album sort et les verdicts sont immédiats : Brat emballe toute la critique internationale. Musicalement d’abord, avec ses titres efficaces, taillés pour faire la fête dans des caves humides, et, de façon plus surprenante, esthétiquement aussi. En choisissant une pochette simple, où l’inscription « brat », dans une police Arial déformée et floue, trône au milieu d’un carré vert, Charli XCX permet au monde entier de s’approprier un style qui a depuis afflué sur les réseaux sociaux.
Ce vert, pas comme les autres, pas pastel, ni vert sapin, pas tout à fait fluo, mais décidément criard, est devenu le « vert brat », soit LA couleur de l’été 2024, jusqu’à investir la sphère de la mode. Brent David Freaney, à l’origine de cette trouvaille, a confié au New York Times, avoir examiné 500 tons de vert avant de trouver le bon. Pourtant, la popstar n’était pas du tout certaine du succès de son choix. « Je ne sais pas si je l’ai déjà dit, mais ce texte en guise de pochette, c’était pour économiser de l’argent, car je ne pensais pas que Brat allait plaire à beaucoup de monde », partageait-elle à Zane Lowe dans une interview donnée à Apple Music, en octobre.
Il suffit toutefois de quelques jours d’existence à Brat pour que l’accrocheur Apple devienne l’un des (nombreux) hits de l’album. La danse qui l’accompagne devient, elle, une tendance TikTok, reprise par des dizaines de personnalités, du duo d’acteurs Daisy Edgar-Jones et Glen Powell, en pleine promo du film Twisters, à l’icône rock américaine Kim Gordon. L’acteur américain Kyle McLachlan, dont l’humour caractérise ses réseaux sociaux, a, à son tour, adopté le style brat (jusqu’au tee-shirt) en chorégraphiant le duo surprise de Charlie XCX avec Lorde, Girl, so Confusing.
Brat, un phénomène qui ouvre les frontières
La plus grande réussite de Charli XCX reste peut-être d’avoir, en un temps record, dépassé l’arène musicale pour faire de brat une esthétique, mais aussi une attitude. En plein « brat summer », et bien qu’elle soit Anglaise et ne vote donc pas aux États-Unis, elle partage sur X, le 22 juillet, le message « kamala IS brat ». En apportant son soutien à la candidate démocrate pour l’élection présidentielle américaine, juste après le retrait de Joe Biden, elle participe à accélérer sa campagne sur les réseaux sociaux. La vice-présidente a même répondu en adoptant les codes « brat » dans sa bannière officielle sur X.
Personnalité artistique la plus marquante de l’été à la stratégie marketing bien ficelée, Charli XCX déclare elle-même, le 2 septembre, sur X, au revoir à ces semaines de fête, avec ces quelques mots « goodbye forever brat summer ».
Et donc bonjour le « brat autumn » ? Alors que les rumeurs deviennent insistantes, elle confirme finalement que la version remixée de son album arrive le 11 octobre. Nommé Brat and it’s Completely Different but Also Still Brat, l’album de 16 titres a l’audace de convier des stars d’horizons très différents. À l’occasion de sa sortie, à New York, elle explique au public trié sur le volet les coulisses de ce projet : « L’une des raisons pour lesquelles je voulais réaliser ce projet, c’est que je trouvais ça vraiment très cool de montrer les possibilités infinies de la musique dance, et de la musique en général. »
Ses singles dévoilés en amont avec Lorde, mais aussi Billie Eilish (Guess, l’une des plus grandes réussites) soulignaient déjà qu’être brat, c’est aussi miser sur la sororité et ne pas se mettre en compétition les unes contre les autres. La preuve ? Ariana Grande, Caroline Polachek et Shygirl figurent toutes sur le disque. L’Anglaise déclare ainsi que tout le monde peut-être brat en invitant des figures plus pop et folk, dont le groupe The 1975, le chanteur des Strokes, Julian Casablancas, ou encore Bon Iver. Avec cette version augmentée à base de duos, l’Anglaise laisse entendre qu’il y a de la place pour qui veut bien la prendre et la partager à ses côtés.
2025, la poursuite du mouvement brat ?
2024 était définitivement brat, mais 2025 le sera-t-il aussi ? Charli XCX restera assurément une figure majeure de l’année à venir, avec un premier rendez-vous important le 2 février. Derrière Beyoncé et ses 11 nominations, mais devant Taylor Swift, qui en compte six, Charli XCX est présente dans sept catégories des Grammy Awards, dont celui de l’album de l’année.
Après une tournée des Arenas en Angleterre, en cette fin d’automne, elle s’envolera vers les États-Unis au printemps, puis en direction des grands festivals de l’été, avec un passage unique en France prévu à We Love Green, le samedi 7 juin 2025. D’ici là, d’autres artistes pourraient bien s’emparer de ce phénomène brat, pour en adopter les codes et le style. Troye Sivan, qui partage avec Charli XCX le titre Talk Talk en est l’exemple même.
Si Charli XCX restera peut-être la première vraie popstar du courant de l’hyperpop, le sous-genre a un bel avenir devant lui. SOPHIE, décédée en 2021, laisse derrière elle une discographie enthousiasmante, dont un album posthume éponyme, dévoilé en septembre. Caroline Polachek, qui a séduit la critique avec Desire, I Want to Turn You (2023) – même Charli XCX l’a invitée sur le featuring d’Everything is Romantic – en sera peut-être la seconde.
La mode a même adopté le style brat, dès l’été. Exit le rose Barbie de 2023, les tenues sont désormais plus trash et grunge, et l’apparence est désordonnée (en opposition au style « very demure »). S’il fallait encore une preuve que la musique influence la mode et vice versa, la voici. La tendance pourrait se confirmer sur les podiums, en début d’année, et dans les boutiques au printemps. Pas de doute : on sait déjà quoi porter pour danser en live sur 360 et Von dutch l’été prochain, histoire de célébrer la nostalgie du brat summer de 2024.