Décryptage

D’Isaac Asimov à ChatGPT, comment la littérature a déjà imaginé remplacer les auteurs par des machines

11 décembre 2024
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D'Isaac Asimov à ChatGPT, comment la littérature a déjà imaginé remplacer les auteurs par des machines
©Shutterstock / CoreDesign

Depuis près d’un siècle, des auteurs de science-fiction ont imaginé l’apparition de robots capable d’écrire des livres entiers. Alors que les livres par IA se multiplient à la vente, revenons sur l’histoire de ce phénomène.

Depuis quelques années, les débats sur la génération de textes de fiction via des LLM (Large Langage Model – les modèles de langage par intelligence artificielle) se sont multipliés. Il faut dire que depuis 2022, les livres produits à l’aide de prompt ChatGPT ont envahi les plateformes de ventes d’e-books, poussant les plateformes à engager une labellisation autour des « vrais auteurs ». Alors que des startups affirment (de manière parfois contestable, voire complètement farfelue) pouvoir produire ainsi « 8 000 livres par an », beaucoup de prédictions issues de la littérature d’anticipation semblent se concrétiser. Car cela fait en réalité fort longtemps que les auteurs de science-fiction se sont posé la question de l’écriture assistée par des machines.

Des automates écrivains au barde automatique d’Asimov

Illustration pour la nouvelle Someday parue dans le magazine Infinity en mai 1954©Domaine Public

Il faut d’ailleurs noter que l’idée de « robot-écrivain » précède même l’histoire de l’informatique, puisque les automates Jaquet-Droz, construits entre 1767 et 1774, étaient déjà capables d’être programmés pour dessiner, composer de la musique ou écrire des textes prédéfinis. Ces merveilles de la mécanique donnaient ainsi l’impression que les textes (encodés à l’avance dans les rouages de la machine) étaient imaginés et composés en direct par les automates. Une idée similaire se retrouvait déjà sous forme théorique et humoristique dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift en 1727, dans la description d’une « machine littéraire » composant des textes de manière automatisée.

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Chronologiquement bien plus proche de nous, la littérature d’anticipation connaît un essor conséquent dans les années 1930 à 1950 et va imaginer des progrès technologiques pouvant déboucher sur des machines capables de raisonner, de penser et de créer. Un des premiers exemples notables de « robot écrivain » se retrouve dans la nouvelle Someday (Un jour), publiée par Isaac Asimov en 1954. On y suit l’après-midi d’un enfant jouant avec une machine capable d’assembler des textes à la volée selon un algorithme prédictif qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement actuel des LLM. Lassé des histoires qui finissent par toutes se ressembler un peu trop, l’enfant abandonne son jouet, sans réaliser que le « Barde » est progressivement en train d’accéder à une forme de conscience.

Philip K. Dick au début des années 1960.©Domaine public

Un peu plus tard, en 1964, la nouvelle La Vérité avant-dernière de Philip K. Dick montre un personnage en train de faire composer un discours par une machine, le rethorizor, sans presque avoir à intervenir. Le fonctionnement de la machine ressemble furieusement aux modèles de prédiction de texte et aux prompts utilisés pour faire fonctionner ChatGPT.

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Des visions dystopiques d’un monde sans créateur humain

Au fil du développement de son histoire, la science-fiction abandonne petit à petit son espoir dans un progrès linéaire et bénéfique pour émettre des réserves sérieuses sur le futur. Le mouvement cyberpunk, initié en 1984 par l’auteur William Gibson, anticipe des sociétés à la technologie aussi omniprésente qu’oppressante et menaçante. À partir de cette époque, des auteurs de SF imaginent un monde dépossédé de ses forces créatives, lesquelles auraient été intégralement confiées à des robots.

Ouvriers du ministère de la Vérité dans le film 1984 de Michael Radford. Dans l’univers du roman, la littérature a été entièrement automatisée par une machine afin de produire de la propagande en quantité industrielle.©20th Century Fox

Les premières occurrences de robot-auteurs utilisés à des fins cyniques ou malveillantes sont d’ailleurs assez anciennes : en 1948, dans 1984, George Orwell imagine un « versificateur » automatique utilisé par le ministère de la Vérité pour produire à la chaîne des textes médiocres et distrayants pour amuser le peuple. En 1953, dans La Grande Grammatisatrice automatique, le britannique Roald Dahl imagine un système de production automatisé de textes inondant le marché éditorial en reproduisant en série des variations à partir du corpus déjà produit. Ce dernier étant opéré par un écrivain cynique souhaitant bien entendu faire fortune avec une douzaine d’alias différents.

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Dans les années 1970, Stanislas Lem imagine dans The First Sally que les humains ont confié la poésie et les textes oniriques à des ordinateurs plus compétents et plus imaginatifs que les humains eux-mêmes. De manière plus spectaculaire, la fresque Accelerando de Charles Stross publiée au début des années 2000 imaginait un futur où les forces créatives des IA rendaient toute forme de création humaine complètement inutile et où ces derniers finissaient par fusionner spirituellement avec la technologie.

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Le jeu 2064 aborde, dans des dialogues entre une machine et un humain, la place de la conscience dans la création littéraire.

Des postulats similaires ont été réalisés du côté d’autres médias. Ainsi, le jeu vidéo indépendant Technobabylon, en 2015, imaginait une société futuriste dans lesquels les métiers artistiques avaient quasiment intégralement disparu au profit de solutions automatisées. La même année, le jeu 2024: Read Only Memories évoquait une situation de coexistence entre la littérature produite par des machines, largement répandue, et celle produite par des humains, considérée comme plus élitiste et rare, presque un marqueur social d’un certain snobisme. Un constat plus nuancé, voire optimiste que l’on retrouve également dans le roman de 2020 Mother Code de Carole Stivers, qui décrit assez précisément le potentiel de l’intelligence artificielle pour écrire des modules d’enseignement de manière à pouvoir former une future génération d’humains.

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Une idée similaire émergeait d’ailleurs déjà en 2006 dans Vision aveugle de Peter Watts, en anticipant l’importance des contenus générés par LLM dans les processus d’apprentissage, notamment linguistiques.

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La réalité rattrape la fiction

Ce que beaucoup de romanciers n’avaient néanmoins pas anticipé, en plaçant leurs intrigues dans un futur relativement lointain, c’est la rapidité des transformations du milieu de l’écriture en la matière. Et particulièrement le fait que les « robots-auteurs » peuvent produire à la volée une quantité de texte monumentale. Une idée explorée par Neal Stephenson, qu’il imaginait dans son roman de 2008 Anatèm. On y découvre un Internet entièrement rendu inopérant, car composé à 99 % de slop : du contenu médiocre, erroné ou sans intérêt, uniquement conçu pour occuper un maximum d’espace dans les moteurs de recherche. Un problème bien réel, qui a dégradé de manière substantielle en quelques mois seulement les résultats des requêtes sur Google.

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Emission abordant la question du « slop » produit par les IA génératives et leurs impacts possibles dans la réallité.

À l’inverse, certains courants littéraires plus optimistes comme le hope punk imaginent un futur où l’automatisation de certaines tâches pourrait au contraire laisser davantage de temps aux humains pour s’adonner à des tâches créatives : c’est par exemple le cas dans la série de romans Histoire de moine et de robot de Becky Chambers, où la technologie a été confinée à des tâches purement utilitaires, laissant aux humains qui le souhaitent un temps conséquent consacré aux arts, à la création et à l’écriture.

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Cependant, comme le pointent de nombreux spécialistes de l’écriture comme des modèles de langage automatisés, il demeure extrêmement difficile de produire des textes de fiction particulièrement pertinents à l’aide de LLM. Ce qui pourrait, à terme, conduire à une forme d’impasse à produire des textes sans aucune forme d’assistance humaine.

D’une part à cause de la très faible capacité de ces textes à simuler de l’imagination, d’autre part parce que les progrès spectaculaires de ces dernières années en la matière se heurtent désormais à des marges de progression beaucoup plus faibles. Enfin parce que les ouvrages générés par IA posent de multiples problèmes légaux et que leur contenu n’est pas toujours à la hauteur des attentes des lecteurs. Bref, il semble que si de nombreux textes ont vocation à être tout ou partie remplacés par des équivalents générés par des machines, la fiction écrite par des êtres de chair et de sang a encore de beaux jours devant elle !

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