Loin, très loin de l’autofiction germanopratine, trois grands noms de la rentrée littéraire font le pari de l’exotisme et du dépaysement. Leurs romans nous emmènent à l’autre bout de la planète pour interroger le cours du monde.
| Frapper l’épopée, d’Alice Zeniter
Appelez ça du flair, de la chance ou un simple hasard de calendrier, les grands livres arrivent toujours au bon moment. Quelques semaines seulement après les émeutes violentes qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie à la suite d’un projet de révision constitutionnelle visant à réduire l’influence des indépendantistes et asseoir le pouvoir de la Métropole, Alice Zeniter fait paraître en cette rentrée littéraire la grande fresque d’une île marquée au fer rouge par le seau de la colonisation.
Après un détour par la métropole où elle a laissé tomber son compagnon, Tass est retournée enseigner dans sa Nouvelle-Calédonie natale pour démêler les fils d’une identité dont elle a bien du mal à s’emparer. Et c’est la disparition soudaine de deux de ses élèves, des jumeaux kanaks, qui va étrangement lui apporter les réponses qu’elle attend depuis si longtemps. Alors qu’elle s’élance à leur recherche, elle se confronte aux traumas coloniaux et côtoie certaines figures de la lutte pour l’indépendance.
À seulement 37 ans, la romancière, figure majeure du paysage littéraire français au CV bien rempli – lauréate du Prix du livre Inter avec Sombre dimanche (2013), du prix Renaudot des lycéens avec Juste avant l’Oubli (2015) et du prix Goncourt des lycéens avec L’Art de perdre (2017) – renoue avec sa veine la plus politique. Quête des origines troublante où sa voix s’entremêle à celle de son héroïne, brûlot politique, enquête en immersion engagée, Frapper l’épopée offre une cartographie inédite et passionnante d’une île du bout du monde aussi riche que méconnue.
| Le Rêve du jaguar, de Miguel Bonnefoy
Depuis ses premiers livres, mais surtout avec Le Voyage d’Octavio (2015), Sucre noir (2017) ou encore Héritage (2020) le romancier franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy nous a habitués à des contes du bout du monde envoûtants qui croisent saga familiale, roman d’aventure et réalisme magique hérité de ses pairs sud-américains – Alejo Carpentier, Julio Cortázar et surtout Gabriel García Márquez, prix Nobel de littérature en 1982, dont le roman Cent Ans de solitude, publié en 1967, est souvent cité comme une des œuvres les plus représentatives de ce genre.
Le Rêve du Jaguar ne déroge pas à la règle et plonge encore plus loin dans les racines sud-américaines de l’auteur. Cette fresque vertigineuse commence en effet sur les rives du lac Maracaibo, à l’extrême nord du Venezuela. Teresa, une mendiante, recueille un bébé, le petit Antonio, alors qu’il a été abandonné sur les marches de l’église. D’abord vendeur de cigarettes, porteur puis employé au bordel de la ville, le garçonnet croise la route de toute une galerie de personnages hauts en couleur qui contribueront à une ascension aussi improbable qu’irrésistible : celle d’un gamin des rues devenu l’un des plus grands chirurgiens de son pays.
Antonio Borjas Romero fut le père de la médecine vénézuélienne et sa femme, Ana Maria Rodriguez, l’une des premières femmes médecins du pays. Ce sont les grands-parents de l’auteur. Caché sous les traits de Cristobal, leur descendant, dont le carnet sert de réceptacle au récit, il leur rend un hommage vibrant. À travers la destinée de cette famille, c’est un pays tout entier qu’il célèbre.
| Mesopotamia, d’Olivier Guez
Sept ans après son prix Renaudot pour La Disparition de Josef Mengele (2017), traque romanesque du plus odieux des médecins SS dans sa nouvelle vie sud-américaine, Olivier Guez s’ancre à une nouvelle figure historique, glorieuse cette fois, pour marquer de son empreinte la rentrée littéraire.
Gertrude Bell fut l’égale de son grand ami, l’illustre Lawrence d’Arabie. Fille d’une riche famille d’industriels anglais, marquée à vie par un premier voyage au Moyen-Orient à 24 ans, à la fois exploratrice et espionne, elle est, au sortir de la Première Guerre mondiale, une figure reconnue et crainte au cœur des jeux d’influence orientaux, sur fond de colonisation, de trésors archéologiques et de gisements pétroliers.
Olivier Guez nous entraîne dans une aventure trépidante entre Le Caire, la Palestine et Bagdad, et déploie tout ce qui fait le sel de sa littérature. L’exofiction romanesque tient toutes ses promesses, la vie de cette aventurière visionnaire se dévoile avec style et panache. Vous ne la connaissiez pas ? C’est normal, elle fait partie de la longue liste des femmes puissantes invisibilisées dans des livres d’histoire écrits par les hommes. Olivier Guez lui offre aujourd’hui une belle revanche et un majestueux mausolée littéraire.