Il a été propulsé sur le devant de la scène avec The Mask, sorti il y a tout juste 30 ans : on fait le tour de la carrière de Jim Carrey, un des comédiens au parcours les plus singuliers de toute l’histoire du cinéma américain.
Jim Carrey, c’est d’abord l’histoire d’un comédien de stand-up canadien excentrique au début de carrière complètement raté. De la fin des années 1970 à la fin des années 1980, le jeune Carrey s’essaye à toutes sortes de disciplines : il écrit des sketchs, imite des personnalités célèbres, fait des spectacles de clowns, auditionne pour des dizaines de films. Mais la sauce ne prend pas, et ses nombreux allers-retours entre Toronto et Hollywood ne lui permettent que de décrocher quelques rôles mineurs.
Le milieu du cinéma comme celui de l’humour a du mal à comprendre ce clown triste, grimaçant, excentrique et décalé, au jeu très atypique, semblant surgir d’un dessin animé. Il sera d’ailleurs recalé pas moins de trois fois aux auditions du prestigieux Saturnay Night Live, la plus grande pépinière télévisée d’humoristes aux États-Unis.
Ce n’est qu’en 1990 que Carrey acquiert un début de notoriété, en jouant dans la série à sketchs In Living Color de la Fox, où il se fait doublement remarquer : il est presque le seul blanc d’une série mettant en avant des vedettes afro-américaines, et le show met en avant sa qualité de Canadien exilé en surjouant sur ce double décalage culturel. La série est un franc succès et dure jusqu’en 1994. Enfin, Jim Carrey peut obtenir des rôles majeurs au cinéma.
Du roi de la comédie à l’acteur mélancolique
En seulement quelques mois, Carrey va ainsi devenir une vedette mondiale de la comédie, en usant et abusant de son surjeu extrêmement expressif et de sa manière de se mouvoir étrange, ainsi que de son talent pour désarticuler son propre visage. Quand il commence à figurer dans des comédies à grand spectacle, ce quasi-inconnu en dehors de la télévision câblée américaine devient la coqueluche du cinéma mondial.
Entre 1994 et 1996, il est la star de nombreuses comédies au ton très cartoon, ne ressemblant à rien de connu jusqu’alors : Ace Ventura, Dumb and Dumber ou encore The Cable Guy. Mais c’est son rôle d’anti-héros surnaturel et étrange dans The Mask, sorti en octobre 1994, qui est la consécration. Cette modeste adaptation d’un comics relativement obscur rassemble plus de dix fois son budget au box-office et devient instantanément culte.
Mais ce rythme effréné de tournages de comédies d’action l’épuise (il tourne jusqu’à quatre films par an), lui qui souffre par ailleurs de profonds problèmes de dépression dont il a souvent témoigné et qui empirent au fil des années 1990. En surchauffe, il multiplie les projets parallèles : il sort des disques, apparaît (enfin) dans le SNL qui l’avait jadis rejeté, multiplie les caméos télévisés.
Il parvient heureusement à se distancer progressivement de cette image de clown déjanté et omniprésent en ralentissant le rythme des tournages et en apparaissant dans des rôles plus tragiques. The Truman Show, en 1998, dépeignant la vie d’un homme ignorant qu’il vit dans une émission de télévision, prouve au monde qu’il est capable de jouer dans un registre plus mélancolique.
Un talent qu’il confirme plus tard dans Man on The Moon de Miloš Forman, un biopic sur le comédien Andy Kauffman, lui aussi imitateur, dépressif et versé dans l’absurde. Cette version « miroir », beaucoup plus tragique que bouffonne, est un four au box-office, mais la performance de Jim Carrey, qui tient le film à bout de bras, est saluée par la critique.
Enfin, en 2004, il est la vedette d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind du réalisateur Michel Gondry, une sorte de comédie romantique inversée teintée de SF dans laquelle il interprète un rôle subtil, tragique et mélancolique aux côtés d’une Kate Winslet exceptionnelle. Unanimement acclamé pour l’étendue de son talent, il n’a plus rien à prouver.
Un touche-à-tout qui vit de plus en plus loin du cinéma
Néanmoins, à mesure que ses problèmes personnels s’aggravent, Jim Carrey continue à ralentir le rythme de ses apparitions cinématographiques. S’il porte encore quelques comédies, comme le Yes Man de Carl Allen en 2008, il devient nettement plus rare de le voir reprendre le personnage de clown élastique qui l’a rendu célèbre. Certains de ses propres rôles de bouffon le mettent d’ailleurs mal à l’aise. Il dit par exemple avoir profondément regretté de jouer dans la comédie de super-héros Kick-Ass 2, un film qu’il juge après coup beaucoup trop violent.
Paradoxalement, il se distingue davantage par des rôles risqués, extrêmement sombres, dans des thrillers comme The Number 23, The Bad Batch et Dark Crimes qui lui permettent d’exprimer un registre de jeu encore inédit pour lui avant… de complètement lâcher le cinéma en 2016.
Jim Carrey se tourne alors vers ses autres passions : l’écriture (il sort trois livres, dont une autobiographie passionnante, entre 2013 et 2020), la production de documentaires ou encore l’écriture de séries télévisées. Il cosigne ainsi I’m Dying up Here en 2017 puis Kidding en 2018 (dans laquelle il joue le rôle phare), deux séries plutôt mélancoliques inspirées de sa propre expérience de comédien de stand-up et d’amuseur public contrarié. Il est également la vedette de deux documentaires salués, dont un revenant en détail sur les graves problèmes de santé mentale dont il a souffert au moment du tournage de Man on the Moon.
Du dessin politique au docteur Robotnik : Carrey n’est jamais là où on l’attend
L’essentiel du temps de Jim Carrey à la fin des années 2000 est néanmoins consacré à une autre activité : le dessin politique, auquel il consacre une bonne partie de ses journées et de son activité sur les médias sociaux, notamment pour protester contre l’ascension puis la présidence de Donald Trump et les liens de ce dernier avec la Russie de Vladimir Poutine. Une activité assortie de quelques positions parfois outrageusement provocantes qui lui vaudront autant de soutiens que de menaces (et une interdiction de pénétrer sur le territoire Russe), et qu’il maintiendra jusqu’aux élections de fin 2020. C’est d’ailleurs lui qui sera choisi par la production du SNL pendant la campagne présidentielle pour imiter un certain… Joe Biden !
Mais, plus étonnant, le retour de Jim Carrey au cinéma après plus de cinq années d’absence s’est fait… Par la comédie, et plus particulièrement la comédie jeune public Sonic, le film, tiré de la célèbre licence de jeux vidéo. L’acteur y incarne le Docteur Robotnik, un savant fou cabotin et bouffon. Si les critiques sont initialement sceptiques de voir Carrey revenir au cinéma dans un rôle qui est une quasi-caricature de ceux qu’il incarnait 30 ans plus tôt, sa performance impressionnante et son plaisir manifeste à être à l’écran créent la surprise.
Le film est à la surprise générale un immense succès commercial et les journalistes concèdent qu’il s’agit de l’une de ses meilleures performances. Un succès qui le conduit à reprendre le rôle de Robotnik pour deux films supplémentaires, avec un succès monstre pour le second volet : Sonic 2 est, en 2022, le plus gros succès au box-office de toute sa carrière. Pour fêter ça, et parce que Jim Carrey n’a jamais cessé de prendre tout le monde à contrepied, l’acteur a déclaré dans les colonnes de Variety que, Robotnik mis à part, il songeait très sérieusement à mettre un terme définitif à sa carrière. Il faut bien admettre que cette dernière a été fort, fort remplie.