Après un détour par le Festival de Cannes 2024, dont il était reparti bredouille, Megalopolis débarque ce mercredi 25 septembre dans les salles obscures. Projet pharaonique imaginé il y a des décennies par Francis Ford Coppola, le film était particulièrement attendu par les cinéphiles, mais s’effondre sous le poids de sa mise en scène, de ses personnages et de sa narration, malgré un fond personnel et poétique.
« Une catastrophe », « Un ratage inconcevable », « Incroyable », « Magnifique »… Voilà ce que l’on pouvait lire dans la presse au moment de la présentation en compétition au Festival de Cannes 2024 de Megalopolis. Il y a quelques mois, Francis Ford Coppola, réalisateur doublement palmé (pour Conversation secrète et Apocalypse Now), présentait en effet son pharaonique projet. Un projet tel que le cinéaste a investi sa fortune personnelle (120 millions de dollars) afin de donner vie à cette vision fantasmée depuis plus de 30 ans, dans laquelle on découvre un New York partagé entre un patrimoine architectural hérité de la Rome antique et un aspect art déco que Cesar Catalina (Adam Driver) entend bien dynamiter.
Après avoir découvert une matière incroyable, capable de faire des merveilles, cet architecte et scientifique souhaite en effet bâtir une utopie futuriste dans laquelle New York serait lavé de ses vices et débarrassé des magouilles politiciennes. Toutefois, Catalina doit faire face à la vigoureuse opposition du maire conservateur, Cicero (Giancarlo Esposito), fervent défenseur du patrimoine originel de la ville.
C’est donc sur une simple querelle urbanistique que Francis Ford Coppola construit l’intrigue de Megalopolis. Un postulat intéressant qui aurait pu fonctionner si le film ne souffrait pas de plusieurs écueils formels qui gâchent la linéarité de l’histoire et brouillent les pistes quant au propos réel de son réalisateur.
Le poids du succès ?
Le film se retrouve alors assommé par une galaxie de personnages parmi lesquels on retrouve une journaliste croqueuse de diamants (Aubrey Plaza), la fille du maire tiraillée entre sa loyauté pour son père et son amour naissant pour Catalina (Nathalie Emmanuel), ou encore un cousin jaloux (Shia LaBeouf). Autant de personnalités hautes en couleur qui soulignent la folie new-yorkaise, mais qui, à terme, font déborder le film. Francis Ford Coppola multiplie ainsi les clichés autour d’une décadence no-limit et l’aspect subversif des scènes d’intimité observées dans son Dracula (1992), par exemple, n’est plus, voire tombe dans une certaine forme de ringardise.
Même sa direction d’acteurs, malgré un casting très prometteur, peine à convaincre. Aubrey Plaza sonne faux malgré un potentiel vénéneux, John Voigt semble perdu face à la caméra, et les personnages de Nathalie Emmanuel et d’Adam Driver, pourtant très intéressants, offrent une romance sans réel éclat. Seul Shia LaBeouf, étrange personnage dans cette cacophonie scénaristique, parvient à tirer sur son épingle du jeu grâce à une interprétation jusqu’au-boutiste, presque méta.
Les racines du Nouvel Hollywood, bâties sur la représentation de la violence, du sexe et du pouvoir, si caractéristiques du cinéma de Coppola, semblent ainsi dépassées. Le réalisateur a perdu sa fougue d’antan.
Le poids du succès et de son cinéma aurait-il étouffé l’aspect visionnaire de son travail ? En tout cas, difficile de voir dans Megalopolis le génie Coppola tant le réalisateur apparaît balbutiant dans ses choix esthétiques ou narratifs.
Un film personnel
Si la photographie est parfois fantastique – on adore les références à la Rome antique dans un décor new-yorkais néofuturiste –, d’autres choix formels apparaissent, en effet, contestables, voire incompréhensibles. Le scénario lui-même est particulièrement déstabilisant du fait de son rythme, des enjeux confondus entourant les différents personnages, de ses facilités et de ses nombreuses références philosophiques.
Toutefois, c’est peut-être là que le long-métrage trouve sa vraie substance. En interrogeant dans ce vivier thématique la civilisation, le temps, l’amour, la famille, l’héritage ou le progrès, Francis Ford Coppola devient un véritable tribun de notre monde contemporain et interroge son propre patrimoine, à l’horizon de sa fin de carrière. Le cinéaste offre alors sa création la plus crépusculaire et donc la plus personnelle.
En témoigne le personnage d’Adam Driver, véritable personnification du cinéaste, dont la mission utopique pourrait faire écho à l’impact du cinéaste sur le Nouvel Hollywood à partir des années 1970. Un parallèle intéressant qui fait entrer le long-métrage dans une autre dimension et permet à Coppola de tirer sa révérence en s’adressant aux générations futures.
Ce constat donne à voir un film particulièrement poétique ; il faudra toutefois fouiller dans un mélange foutraque de mise en scène parfois niaise et de narration obscure pour tenter d’en obtenir le sens profond. Une hybridité qui, même pour cet artiste d’envergure, semble parfois trop grande, trop vertigineuse, trop confuse. Signe de la propre mégalomanie de Coppola ?