Critique

La pièce rapportée, la nouvelle comédie fantasque d’Antonin Peretjatko

06 décembre 2021
Par Alexia De Mari
Anaïs Demoustier dans La pièce rapportée.
Anaïs Demoustier dans La pièce rapportée. ©Diaphana Distribution

Pour son troisième film, l’inimitable Antonin Peretjatko – roi de l’absurde s’il en est – propose une comédie sur fond de satire sociale.

À Paris, Paul Château-Tétard (Philippe Katerine), vieux garçon richissime, décide de prendre le métro pour la première fois. Il y rencontre une jeune femme modeste, Ava (Anaïs Demoustier), dont il tombe éperdument amoureux. Mais leur idylle n’est pas du goût de la mère de Paul, Adélaïde (Josiane Balasko) – qui attend pourtant impatiemment qu’un héritier naisse de leur union. Vite persuadée qu’Ava est infidèle, Adélaïde déclare la guerre au couple…

Une esthétique résolument contemporaine

L’histoire du film est adaptée de la nouvelle de Noëlle Renaude, Il faut un héritier, qu’Antonin Peretjako transpose dans un univers contemporain. Habilement renommé La pièce rapportée, ce vaudeville loufoque traite en filigrane le problème du difficile mélange de classes sociales et des mariages dits « mixtes ». Révélé sur grand écran avec La fille du 14 juillet (2013) et La loi de la jungle (2016), Antonin Peretjako, qui manie l’absurde comme personne, dépoussière les codes de la comédie. À l’instar de cinéastes comme Quentin Dupieux, il prend le parti pris assumé de réaliser des œuvres décalées à la forte identité visuelle – reposant sur un style à la fois rétro et résolument moderne. On retrouve par exemple dans ses images et dans la direction de ses acteurs l’inspiration des films de la Nouvelle Vague des années 1960. Après avoir tourné La fille du 14 juillet en pellicule 16mm, le réalisateur a néanmoins choisi le numérique pour ces deux derniers longs métrages. Si le grain du 16mm a disparu dans La pièce rapportée, cela n’empêche pas Peretjako d’y proposer une esthétique dans la continuité de ses précédents films – tant dans le traitement des couleurs vibrantes et de la lumière, que dans celui des décors et des costumes (notamment avec les robes et jupes cintrées magnifiquement portées par Anaïs Demoustier). Une fois de plus, Antonin Peretjako tourne, non pas à 24, mais 22 images par seconde, afin de produire un léger effet d’accélération des corps en mouvement. Ce décalage subtil et quasi imperceptible pour le spectateur joue toutefois un rôle essentiel dans l’esthétique générale du film. Surtout, ce soin du détail confère un cachet sans égal au style de Peretjako.

Josiane Balasko et Philippe Katerine dans La pièce rapportée.©2020-ATELIER DE PRODUCTION-ORANGE STUDIO-AUVERGNE RHÔNE ALPES CINÉMA

Le goût de l’absurde

Le réalisateur fait appel à une voix off incisive et subjective qui prend parti pour certains des protagonistes. Si ce choix narratif lui permet guider le spectateur dans la temporalité du récit, il apporte également une touche d’humour, en détournant sa fonction habituellement neutre et explicative. L’humour décalé est omniprésent, jouant avec les codes de la comédie et l’outrepassant jusqu’à l’absurde : un chien qui fume la pipe, Ava qui sort nue d’un étui de contrebasse, etc. L’accumulation des situations décalées est caractéristique de l’univers particulier de l’œuvre de Peretjako, qui s’inscrit dans la tendance actuelle de ce cinéma français qui dépoussière avec malice l’univers de la comédie. Josiane Balasko impose son style en belle-mère riche et jalouse, Anaïs Demoustier est légère et pétillante et Philippe Katerine aussi décalé que le propos du film. Enfin, William Lebghil, toujours aussi convainquant, confirme son aisance dans ce qui se fait de plus recherché en termes de comédies françaises – Jacky au royaume des filles (Riad Sattouf, 2014), Yves (Benoît Forgeard, 2019).

Un fond de critique sociale

Les personnages décalés de ce Paris bourgeois n’en sont pas moins ancrés dans des questions sociales contemporaines. Les origines de l’argent des Château-Têtard sont douteuses – mais peu importe : le tout n’est-il pas d’en avoir ? C’est lorsqu’un incident de chasse à courre coûte la vie à des employés en gilets jaunes qu’on se rend compte que la critique sociale est partout, et parfois peu dissimulée. Le réalisateur s’éloigne ainsi, avec La pièce rapportée, de la candeur de ses premiers films. Surtout, ce projet abouti tant sur le fond que sur la forme montre l’incroyable dynamisme créatif du cinéma français contemporain. Confirmant une nouvelle fois l’efficacité de son style, Antonin Peretjako démontre avec aisance qu’il est encore possible de proposer des œuvres singulières – et on en redemande !

La pièce rapportée, d’Antonin Peretjatko, avec Josiane Balasko, Anaïs Demoustier et Philippe Katerine. En salles depuis le 01/12/2021.

Article rédigé par
Alexia De Mari
Alexia De Mari
Journaliste