Entretien

Adrien Antoine : “Quand je double Kaiju N°8, je sais que je vais vivre un vrai grand huit”

28 juin 2024
Par Agathe Renac
“Kaiju N°8”, tous les samedis sur Crunchyroll.
“Kaiju N°8”, tous les samedis sur Crunchyroll. ©JAKDF 3rd Division/Naoya Matsumoto/SHUEISHA

À quelques heures de la diffusion de l’épisode final, Adrien Antoine (Kafka), Alexandre Nguyen (Reno) et la directrice artistique Jessie Lambotte nous ont ouvert les coulisses de cette série événement.

Quel était votre rapport aux mangas avant de vous lancer dans cette aventure ?

Alexandre Nguyen : Ayant grandi dans les années 1990, j’ai dévoré beaucoup de mangas et d’anime avec le Club Dorothée. On m’a assez vite (ré)initié à ce genre vers l’âge de 20 ans, donc j’en consomme encore aujourd’hui. Je dois avouer que je ne regarde pas toutes les séries qui sortent, mais je consomme au moins les plus grosses !

Adrien Antoine : Je suis né en 1980, donc je suis un peu plus vieux, mais les anime ont aussi marqué mon enfance. Pour moi, c’est beaucoup de souvenirs, entre Dragon Ball et Nicky Larson. Je n’ai pas continué à nourrir cette culture au cours de ma vie et j’ai perdu cette proximité avec les mangas au fil du temps. Cependant, je travaille régulièrement sur des productions japonaises dans le cadre du doublage et j’aime beaucoup cet exercice.

Jessie Lambotte : J’ai aussi grandi avec le Club Dorothée, mais je me suis ensuite éloignée des mangas, avant de les redécouvrir grâce à mon métier de directrice artistique et de comédienne, où j’ai notamment doublé Bleach.

Kaiju N°8, c’est plus de 10 millions d’exemplaires vendus dans le monde et une série animée qui cartonne. Comment expliquez-vous ce succès international ?

A. N. : C’est difficile de parler au nom des spectateurs, car ils ont tous des goûts et des motivations différentes. Je peux néanmoins affirmer que ce manga est hyper intéressant, le graphisme est très cool, les combats sont excellents, il y a une belle complicité entre les héros et la musique est géniale. Je pense aussi que le personnage de Kafka peut facilement parler à des trentenaires qui se disent que s’ils n’ont pas accompli leurs rêves à 30 ans, ils ne pourront jamais les réaliser. Il y a une vraie morale derrière cette histoire.

Qu’est-ce qui vous a motivé à incarner ces personnages à l’écran ?

A. A. : Un simple texto de Jessie Lambotte. Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter (rires) ! Plus sérieusement, j’ai beaucoup aimé cet univers très riche, avec une diversité d’émotions à interpréter et des visuels très intéressants. En tant que comédien, c’est un régal de doubler un personnage comme celui de Kaiju, car il y a énormément de choses à explorer ! À chaque fois que je viens, je sais que je vais vivre un vrai grand huit et que ça va partir dans tous les sens. On ne s’ennuie jamais. Certains passages sont difficiles d’un point de vue technique, mais ça rend le challenge d’autant plus excitant.

Comment avez-vous préparé votre personnage et son univers vocal ?

A. N. : Le principe même de notre métier, c’est de recréer au maximum ce qui a déjà été fait en original – et donc ici, en japonais. Il n’y a pas beaucoup de création, nous devons reproduire quasiment à l’identique une émotion qui est donnée sur une image, sur une série ou sur un film. Finalement, la part de créativité est de l’ordre de 5 ou 10 %. C’est donc très difficile de préparer un personnage.

On est beaucoup dans l’immédiateté, dans l’instant. Un épisode est divisé en plusieurs boucles qui correspondent à environ une minute. On la regarde une ou deux fois, puis on la double. La seule préparation que l’on peut avoir sur ce type de tournage, c’est l’aspect psychologique en se disant : “Ok, aujourd’hui je travaille sur Kaiju N°8 en se réveillant le matin.

©JAKDF 3rd Division/Naoya Matsumoto/SHUEISHA

J. L. : La préparation de la direction artistique est un peu différente, car nous voyons l’épisode en amont, contrairement aux comédiens. Ça nous permet de connaître les enjeux pour les guider. Notre but, c’est de faire le meilleur casting possible pour trouver les bons doubleurs et les aider à être les plus justes dans leur jeu.

Vous reconnaissez-vous dans les personnages que vous doublez ?

A. A. : J’aime le côté anti-héros du mien. C’est le genre de protagoniste auquel on peut facilement s’identifier, car il est très humain, finalement. Il a des fragilités, des failles et des peurs… Il est normal, quoi ! J’aime la fragilité et la sensibilité de Kafka, et je me reconnais en elles.

A. N. : Je me retrouve dans le côté vachement carré, organisé, et “contrasté” de Reno. Il part parfois totalement en vrille en voyant que Kafka ne fait pas les choses comme il l’imaginait. Je dois avouer que je m’emporte parfois comme lui (rires) ! Je me reconnais aussi dans sa loyauté envers ses amis.

Comment avez-vous vécu cette expérience ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

A. A. : On a vécu cette expérience avec beaucoup de plaisir. En réalité, nous n’avons pas eu beaucoup de difficultés. Elles sont vraiment anecdotiques. Mais, en tant que comédien, j’adore en rencontrer. J’aime les défis !

J. L. : Je rejoins Adrien sur ce point : il n’y a pas eu de difficulté. Au contraire, ce n’était que du plaisir. C’était très agréable de voir un casting aussi réussi, et de réaliser que leurs voix matchaient aussi bien avec leurs personnages. On voit l’épisode se constituer et se remplir en VF au fil de la journée. C’est très satisfaisant !

Faites-nous entrer dans les coulisses de ce tournage : quel est LE souvenir que vous conservez de cette aventure ?

A. N. : Je n’arrive pas à retenir un moment en particulier, car on passe peu de temps sur le plateau et on tourne les épisodes un par un. Par exemple, si je reste une heure et demie, c’est vraiment le bout du monde. Donc je ne conserve pas un souvenir précis, mais je retiens l’expérience entière qui est géniale. C’est le genre de projet que je garderai en tête avec beaucoup de plaisir et d’amusement, une fois que ce sera terminé.

©JAKDF 3rd Division/Naoya Matsumoto/SHUEISHA

A. A. : Je suis d’accord. Ces projets impliquent une forme de continuité. On découvre l’univers, on suit la trajectoire de nos personnages… Il y a une réelle progression, qui s’étire sur plusieurs mois. C’est compliqué de garder un seul moment.

Vous avez doublé des films, des dessins animés occidentaux et des anime japonais. La manière de travailler est-elle différente ?

J. L. : La vraie différence, c’est la dose d’énergie que ça implique. Dans un dessin animé cartoon ou un film live, on va la doser, en essayant d’être au plus proche de l’original. À l’inverse, l’anime a toujours des énergies très, très, très, très hautes. C’est un univers où tout est poussé à l’extrême. Il faut donc aller chercher cette sincérité dans cet extrême et c’est un exercice très différent des autres, même si le travail est le même.

A. A. : Clairement. Le but est d’être dans la sincérité du jeu, quoi qu’il arrive. Je vois néanmoins une autre différence entre le live et le dessin animé. Dans le premier, on est obligé de se faire oublier et de coller parfaitement à l’univers de l’acteur à l’écran pour que le spectateur ait l’impression que c’est sa voix, qu’il est en train de parler. Le deuxième nous donne plus de liberté. On peut se permettre plus de choses.

©JAKDF 3rd Division/Naoya Matsumoto/SHUEISHA

A. N. : Le cerveau humain est très bien fait. Il est capable de reconnaître quelque chose qui n’est pas “normal”. C’est donc plus difficile de doubler un live, parce que ça pardonne moins si on est dans l’excès. Notre voix et notre jeu ne colleront pas à ce qui se passe à l’écran. À l’inverse, on peut plus se lâcher et être plus créatifs avec les dessins animés, car le cerveau des spectateurs a déjà compris qu’il regarde quelque chose qui n’existe pas.

Terminons avec l’instant nostalgie de cette interview : quelle est la voix qui a marqué votre enfance ?

J. L. : Celle de Patrick Préjean [qui a notamment travaillé sur Il était une fois…, Famille pirate, Les Zinzins de l’espace, Tigrou de Winnie l’ourson, Sylvestre et Sam le pirate des Looney Tunes, ou encore Bayonne le cochon-tirelire dans les films Toy Story, ndlr].

©JAKDF 3rd Division/Naoya Matsumoto/SHUEISHA

A. A. : Roger Carel [C-3PO dans Star Wars, David Suchet pour le personnage Hercule Poirot dans la série, Kermit la grenouille dans Le Muppet Show, Astérix dans les apparitions du personnage de 1967 à 2014…, ndlr], Perrette Pradier [surnommée “la reine”, elle a prêté sa voix à Faye Dunaway, Jacqueline Bisset, Jane Fonda, Margot Kidder, Julie Andrews, Kate Jackson et à Mme Médusa dans Les Aventures de Bernard et Bianca, ndlr], ou encore Gérard Hernandez [Gonzo dans Le Muppet Show, le Grand Schtroumpf et le Schtroumpf grognon dans Les Schtroumpfs, Iznogoud dans la série d’animation éponyme…, ndlr] ont marqué mon enfance par leur talent, leur fantaisie et leur tendresse. On a eu la chance d’être éveillé à la culture par le dessin animé et par ces acteurs très inventifs et créatifs. On sent qu’il y avait une vraie joie et une virtuosité dans leur travail.

A. N. : J’ai grandi avec tous les Disney de l’époque, et on sent qu’il y avait un véritable soin apporté au doublage. La VF était impeccable. Je ne pourrais pas choisir un acteur en particulier, mais tous les comédiens de cette période étaient extraordinaires. Ils ont tous bercé mon enfance d’une certaine manière.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste